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FEinCIS HONNIEB PARIS LIBIIIIRIE ICIDEMigUE DIDIEn ET C", EDITEOBS Quai des AuguBtins, S6 1874 -•»••» I CT^v.o2H^»t Harvard Cc'\ege Librarj Riant Collection Gift of J. Randolph CooUdge and Arcbibald Cai*y GooUdge Feb. 26, 1900. A TOI t.>^a cne'ie e/" àam^ée (ym)c4^ TOUJOURS A TOI GODEFROI DE BOUILLON n LES ASSISES DE JÉRUSALEM Ml>t1>« I SOMMAIRE : Les ?érita les Assises de Jérusalem ou Lettres du Sépulcre faites par Godefroi de Bouillon sont perdues depuis 1187. — Elles ne se sont conservées que sous une forme orale et en se transfor- mant. — En 1255. Jean dlbelin, baron de Jaffa, en fait ane première rédaction remplie deléments étrangers aux deux Chartes primitives de Godefroi. — Histoire de Jean d*lbelin. — Il est Tauteurdes Assises de la Haute-Cour, mais il n'est pas Fauteur des Assises de la Cour des Bourgeois: preuves. — Nou- veaux remaniements des Assises dans l'Assemblée des seigneurs de Chypre, à Nicosie le 3 novembre 1369. — Cette rédaction, s'étant encore perdue, une commission, nommée par le gouver- nement vénitien, en refait une aut|*e en 1531. Cette rédaction de 1531 est la seule qui puisse faire autorité. Pourquoi? — Les sept manuscrits connus qui renferment les Assises. — Edi- tions des Assises: René Chopin, le P. Labbe, Ducange, la Thau-* massiëre, M. Kausler, M. Victor Fouché, M. Deugnot. ~ Objet de cette étude : revenir aux véritables Lettres dwSépulcre telles qu'elles avaient été rédigées par Godefroi de Bouillon. L — Les Assises de Jcrusaiem ou plutôt les Lettres du 5é- pulcre (1), telles qu'elles furent rédigées sous Godefroi de (1) Mss. de Venise, Bibliothèque Nationale^ f. fr. 12206. 1. _â - fiouillon sont depuis longtemps perdues. Elles disparurent à la prise de Jérusalem par Saladin ou Salah-Ëddin en 1187(1) Mais, même sous les rois de Jérusalem, on ne les connais- sait guère, suivant Guillaume de Tyr, que sous une forme orale et comme des usages traditionnels (2) ; et elles allèrent ainsi s'augmentant et se transformant, même après la prise de la Ville-Sainte pendant pres'de deux siècles et demi dans les autres villes de la Palestine. V.ers le milieu du xiii* siècle, Jean d'Ibelin, seigneur de Chypre et possesseur de grands domaines dans cette partie de la Terre -Sainte, qui apparte- nait encore aux chrétiens, rédigea et commenta ces divers usages dans un ouvrage qu'il intitula Assises de Jérusalem et qu'on a coutume de regarder comme un code, tandis qu'il n'est en réalité qu'un ouvrage de droit sur cette matière (5). IL — La famille de ce Jean d'Ibelin était d'origine fran- çaise comme la plupart des grandes familles d'outre-mer. Il était le cinquième descendant de Balian de Chartres,' fifs.de Guilin ou Guillaume, comte de Chartres, et qui avait passé la mer avec dix chevaliers à son service, pour chercher fortune en Orient au temps du roi Foulques d'Angers. Pour se l'atta- cher, avec sesdix chevaliers, co prince lui avait donné la belle terre d'Ibelin, d'où la famille qu'il fouda avait tiré sonnom (4). Cette famille a!élevant toujours par son habilité dans les né- gociations .diplomatiques et par ses exploits sur tous les (1) Mss. de Venise, Bibliothèque Nationale» cb. cclxxxi. (2) Historia rerum etc., édita a venerahili Willermo, Tyrensi archiepiscopo, liv. XVI, eh. ii, etliv. XIX, ch. ii. (3) Historiens des Croisades, X II, ch vi; Lignages deçh mer, La Thaumassière, p. 227. (4) Bustron, Commentarii di Cipro, mss.., p. 50. Ibelin est le .labne de la Bible, plas tard Jamma, Yebna, à trois lieues dô Ra- melô, au sad-oaesl, et sar un ruisseau du môme nom. — 3 — champs de bataille de l'Orient, Johan ou Jean II d'Ibelin, celui dont nous parlons, était devenu comte de. Jaffa et d'As- calon, seigneur de Baruth et de Ramelé, alors Rama, vers 1230. Maître de la plus riche des quatre grandes baronies de la Palestine, Jean d'ibelîn avait le premier rang dans ce pays depuis la chute dps rois de Jérusalem. Fort jeune encore, il avait pris une part active à la guerre que sa maison soute- nait alors contre Tempereur Prédérik II, et il avait fait preuve du plus grand courage au siège de Baruth, à Gasal- . Imbert et à la bataille de Nicosie, où, après avoir poursuivi avec vigueur Tarrière-garde de Tarmée lombarde, il Tavait réduite à capituler. C'est en récompense de ces faits d'armes que Henri, roi de Chypre Tavait créé baron de Jaffa et comte d'Ascalon. En 1249, le haut baron avait amené un renfort considérable et brillamment armé à saint Louis sous les murs (le Damiette, et, après la mise en liberté de ce prince, il avait hardiment opiné dans le conseil pour que les croisés n'abandonnassent pas ^a Terre-Sainte, niêm'e après la mort de la reine Blanche (1). Enfin, en 1253 il avait donné l'hos- pilalité à saint Louis dans son château de Jaiïa, quand ce prince était venu réparer la citadelle de la ville ; et il avait mis lui-même avec ses hommes d'armes la main aux travaux, en imitant le roi de France. Après le départ de saint Louis, sans désespérer jamais de voiries chrétiens reprendre la cité de David, le vieux seigneur avait compris gue du moins la plus grande partie de sa vie active était achevée, et, suspen- dant au dessus de son foyer son armure de chevalier, il avait vécu retiré dans son chât«»au de Jaffa, livré désormais aux tra- vaux de la paix comme il avait voué les jours de sa jeunesse (1) Joinville, Histoire de saint Louis, ch.xxxiv, édlt. de M. Na- talis de Wailly, p. 104. et de son âge mûr aux grands faits d'armes et aux cris de guerre» parcourant en sage administrateur ses vastes do- maines, rendant Injustice à ses vassaux et à ses tenanciers dans la grande salle de son manoir crénelé, et faisant de granles largesses aux Hospitaliers parce qu'ils avaient cou- rageusement défendu la Terre-Sainte (1). C'est alors qu'il composa dans ses loisirs son ouvrage des Assises de Jérusa- iem vers 1255. On voit pourquoi Ton y trouve des arrêts de la cour de Chypre à côté des usages suivis* dans les villes de la Galilée et de la Judée. On comprend aussi combien celte tradition juridique avait dû se transformer en présence des besoins, des idées nouvelles, au milieu de tant de révolu- tions qui avaient ébranlé la Palestine, et quelle différence il devait y avoir entre la courte rédaction de Godefroi de Bouillon, à la naissance de la colonie chrétienne, et le com- mentaire étendu de Jean d'Ibelin après la chute ^e cette co- lonie. On en verra plus d'une preuve dans la suite III. — Nous devons dire aussi tout d'abord que Jean d'Ibe- lin n'a fait que la première partie des Assises de Jérusalem, la Haute Cour ou la Gourdes Barons^ et qu'il n'est nullement l'auteur de la seconde partie, îa Cour des Bourgeois (2). Bien que cette assertion soit contraire à l'opinion admise, nous nous contenterons de deux preuves pour en établir la vérité, mais décisives. D'abord on lit souvent dans cet ouvrage des mots comme celui-ci : <( Si un home ou une feme venant d'Acre apportait une charte au bailly de Jaffe ou de Jé- rusalem, etc. (5).... » Le tribunal.de la cour des Bourgeois fonctionnait donc encore au moment ou cette seconde partie (1) Paoli, Codice, l. (, p. 134, 150 el 155. (2) Mss. de Venise, Cour des Borges, Bibliothèque Nationale, f.fr., 42207. (3) Ibid, tCh. cxLiii. - 5 -^^ fui ri^dîgée ; c'est-à-dire qu'elle le fut avant la prise de Jé- rusalem par Salah-Eddin, et qu'elle est autérieure de près d'uD siècle à Jean d'Ibelin. Nous tirons notre seconde preuve de ce fait que le plus ancien manuscrit de la Cour des Bourgeois est celui qui est conservée la bibliothèque royale de Munich et qui est une copie d'un autre manuscrit du xiï« siècle. La rédaction de ce recueil, la Gourdes Bourgeois a dû être faite sous les rois Amaury et Baudoin IV, entre les années 1173 et 1188, dans un temps où les vraies Assises^ les Letites du Sépulcre existaient en- core, bien que l'auteur n'en parle pas, par quelque bourgeois lettré, juge lui-môme à la cour du Vicomto ou des Bourgeois de cette ville, et qui, voyant avec quelle difQcilté on obtenait communication des Lettres du Sépukje^ aura voulu fixer dans son esprit, dans l'intérêt des décisions qu'il devait rendre à ce tribunal, les prescriptions que lui fournissait la tradition orale. Quoiqu'il en soit, il reste établi que l'ouvrage intitulé Cour des Bourgeois n'est pas de Jean d'Ibelin ; c'est le point que nous voulions arrêter. Jean d'Ibelin mourut au mois de décembre 1266, et fut enterré dans l'église des Do- minicains de Nicosie, lieu de sépulture de sa famille; on y voit encore son tombeau (1). IV. — Un commentaire de législation ne remplace guère un code. Même à Chypre, les Assises ne.se conservèrent que sous une forme orale, puisqu'on ne fit jamais une seconde copie des Lettres du Sépulcre. Cette tradition, malgré les ou- vrages d'Ibelin, de Philippe de Navarre, de Raoul de Tibé- riade et d'autres jurisconsultes cypriotes, continua à chan- ger et à s'altérer non-seulement dans son expression, mais dans son esprit. (l) Sanudo, Sécréta fidelium crucis, p. 12. / — 6 - , Ce fut au point qu'en 1368 la « communauté des hommes- liges, » c'est-à-dire la réunion des principaux nobles de Chypre sentit La nécessité d'adopter une rédaction écrite. Nous avons encore le procès-verbal de celte réunion ; et on y lit qu'on voulut avoir cotte rédaction a por les novelletès et plusieurs autre choses la partie la plus éclairée (1) Assises de Jérusalem, Mss. de Venise, t. I, p. 1, v. — 29 — du clergé. Telle était la composition de l'assemblée qui allait donner de nouvelles lois à la Palestine.- III. — A l'occideat de Jérusalem et à trois cents pas du Saint-Sépulcre s'élève un château-fort qu'on appelait alors la Tour de David et qui est plus connu aujourd'hui sous le nom de château des Pisans : c'est la forteresse de Jérusalem. C'est un gros donjon carré avec des constructions de diverses époques et flanqué d'ouvrages de défense lourds et massifs, à peu près tels qu'ils étaient au temps de la conquête des Latins, avec cette différence qu'il soutint alors les plus fu- rieux assauts durant trois sièges, tandis qu'aujourd'hui, amas de pierres usées, sans ciment^ rougies ou noircies par le temps, quelques coups de canon suffiraient pour n'en faire qu'une vaste ruine. C'était Raymond de Saint-Gilles qui s'en était emparé à la prise de la ville, et Godefroi, après son élection, avait eu beaucoup de peine à le lui reprendre, parce que c'était la principale défense de la place et que Raymond, malgré des hésitations^ espéra longtemps et dé- sira toujours être nommé seigneur de Jérusalem. Du haut de la terrasse crénelée du donjon, le paysage qu'on découvre est affreux, sur les trois vallées de Riphaïm^ de la Géhenne et du Cédron (l), avec des montagnes arrondies et déchar- nées^ des rochers nus et arides, surmontés de minarets dé- labres ou de tours croulantes. Mais alors la vue s'étendait sur des campagnes accidentées couvertes de figuiers, de nopals, de palmiers élancés^ de sycomores touffus jusqu'aux cimes bleuâtres des montagnes de la Judée qui se perdent (1) C'est le vrai nom de la vallée bordée de rochers qui est à Test de Jérusalem. Le premier qui Tait nommée vallée de Josa- phat est Ârculphequi visita Jérusalem au vin» siècle. Cf. Adamani, de situ Terrœ Sanctœ, Ingolstadt, 1619, in-4% p. 3. - 30 — dans <;e ciel d'or de l'Orient. C'était l'habitation de Godefroi. C'est là qu'il réunit tous ceux qui devaient concourir à la rédaction des lois nouvelles. Mais comme les chambres de la Tour de David étaient étroites, dans les circonstances impor- antes l'assemblée se réunissait dans une grande galerie aujourd'hui détruite et qui longeait le mur oriental du Temple. On y lut d'abord la première rédaction des usages de France, et la discussion s'ouvrit aussitôt sur chacun des ar- ticles dont ils se composaient. Quand les termes en avaient été examinés et fixés, Godefroi faisait transcrire les articles. Les premiers chapitres de Jean d'Ibelin sont comme le résu- mé du procès-verbal de ces réunions, et l'on y lit : « Après par leur conseil et par leur accort, il concuilli de ciaus escris ce que bon li sembla (1), » ce qui montre que non-seule- ment il était président de cette assemblée, mais qu'il choisit -parmi les articles de la rédaction première ceux qu'il préfé- rait, et qu'il les proposait avec les changements nécessaires aux suffrages de l'assemblée. Il avait aussi la haute direc- tion sur tous les travaux. Dans les discussions ouvertes, les législa.teurs avaient toujours pour objet de faire « les Assises et les Usages les meilleurs et les plus convenables qu'il posent ne soient à lor escient (2). » On unissait ainsi le passé à l'avenir; on prenait un usage établi ou accepté par les ancêtres, «parles souverains pères (3), » comme disaient les chevaliers-législateur», pour l'accepter à son tour en le perfectionnant. On verra plus loin pourquoi nous avons marqué avec soin les deux caractères de ces lois, progrès et tradition. (1) Mss. de Venise, I,p. 1. (2) Ibid. p. 2. (3) Ibid. V. — Maïs quelles institutions sortirent de ces délibéra- lions? D*abord on établit deux cours, \sl Haute-Cour ou Cour des Barons pour les nobles et ce qui concernait leurs intérêts, et la Cour des Bourgeois pour la classe inférieure. Étaient membres de la Haute-Gour, d'après les termes mêmes du manuscrit de Venise, « tous les hommes chevaliers de Go- defroi qui lui estoient tenus de fei par Thomage qu'ils lui avoient fait (1). » Or, on verra plus loin que tous les sei- gneurs qui avaient des fiefs dans l'Etat de Jérusalem étaient unis à Godefroi par l'hommage-lige, d'où Ton doit conclure que tout seigneur de cet Etat de Jérusalem, originaire des bords du Rhin ou du centre de la France, avait )e droit de siéger dans la Haute-Cour. Celle-ci ne peut toutefois se con- fondre avec l'assemblée dont nous étudions ici les travaux et qui comportait dans son sein des bourgeois et des clercs, quoique la majorité se composât de barons. La Haute-Cour ne comprenait que des seigneurs, et Godefroi en était ftgovernor et justicier, et établi que lui et ses hommes et leurs fiés il et loz chevaliers fussent menés par la Haute- Court (2),.» c'est-à-dire que Godefroi lui-même était sou- mis aux décisions souveraines de la Haute-Cour, comme tout ce qui se rapportait aux nobles et à la propriété noble , famille, biens^ droits, contrats, était du ressort de cette Cour. En réunissant tous les articles qui se rapportaient à ce sujets on en fit une première charte que l'on appela les Assises de la Haute-Covr et qui fut la première Lettre du Sépulcre (3). VI. — Les bourgeois a les plus léaux et les plus sages que (1) Mss. de Venise, p. L (2) Ibid. p. 1. (3) Ibid. p. 2. — 32 — en îa cité fussent, p lit-on encore dans le manuscrit de Venise, formèrent la Cour des Bourgeois (I). Ils étaient pré- sidés par un \icomte nommé par Godefroi et qui siégait en son nom, comme il présidait lui-même la Cour des Barons, ce qui unissait les deux cours sans les confondre. L'înstitu* tion d*un vicomte était alors générale dans toutes les grandes villes occidentales; c'est par le vicomte que les grands feuda- taires les administraient et en liraient des revenus. A Jéru- salem, les bourgeois prêtaient serment entre ses mains, et ils devaient un « service de lors cors (2) », c'est-à-dire un ser- vice militaire personnel, avec l'obligation pour les plus riches d'entre eux de fournir ou d'équiper un nombre pr^- crit de chevaliers et de « sergents » dans les dangers pres- sants (3). On a récemment révoqué en doute Texistenee de la Cour des Bourgeois au temps des origines (4) ; mais de la féodalité pure, telle qu'elle était alors comprise, découlait nécessairement l'établissement d'une classe bourgeoise, comme on le voit, non-seulement dans les Assises^ mais dans Philippe de Beaumanoir (5) et dans Pierre Dosfontaines (6). Il fallut donc une institutton pour représenter et régir cette classe, soit que cette institution ait été établie par un légis- lateur prévoyant comme à Jérusalem, soit qu'elle soit sortie violemment de la force des choses, ainsi qu'il arriva par la révolution communale en France. Les bourgeois avaient leur droit de délibération et de suffrage, comme les nobles (1) Ms8. de Venise, p. 3. (2) Ihid. p. (3) Assises de Jérusalem, édit. de la Thaumassière, p. 218. (4) M. Beugnot. Assises de Jérusalem, introduction. (5) Coustumes deBeauvoisis, édit. de la Thaumassière, ch, LXYII, p. 339. (6) Pierre des Fontaines, Conseil h un ami, éd. Marnier. — 33 — Tavaienl dans la Haute-Cour: bourgeois et nobles avaient également discutéet acceptécesdeuxinstitutions dans l'assem- blée(l). Les articles qui devaient servir à la Cour des Bour- geois furent écrits dans une seconde charte ou Lettre^ que l'on appela Assises delà Cour de» Bourgeois (2). Ainsi une Cour des Barons, une Cour des Bourgeois et un Chef Seigneur él\i, telle était toute la constitution politique du nouvel état. Elle put être renfermée en trois articles très-courts dans la forme et dans la langue d'une autre charte du même temps^ celle de Guillaume le Conquérant, qui peut donner une idée assez exacte de ce qu'étaient les Ze^^res e?tt Sépulcre (3). On procéda de même pour tous les autres établissements. On avait un gouvernement, il fallait une société ; il n'en est pas sans la propriété. VII. — Quand les croisés étaient entrés à Jérusalem, le 15 juillet 1099, tout en combattant avec fureur contre les Arabes, ils promenaient leurs regards sur les maisons de la ville, et, quand ils en voyaient une à leur convenance, ils enfonçaient un poignard dans la porte ou la marquaient même de leur sang. Cette maison ^tait à eux : ce fat Torigine de la propriété à Jérusalem. On ne toucha pas aux maisons des chrétiens qui, debout ou à genoux sur le seuil, finis- saient, avec une joie mêlée d'épouvante, par se jeter dans les bras de leurs libérateurs. Mais ils habitaient un quartier pauvre autour du Sépulcre. Les principaux croisés. aimaient miaux se précipiter sur les riches demeures que les Sarra- sins, Turcs ou Arabes s'étaient construites à l'orient de la ville, depuis qu'on avait bâti sur l'emplacement du Temple (1) Mss. de Venise, ch. I ; « et eusi fut lors establi par comun accort dou saigner et de ses homes- et des borgès ». (2) Mss. de Venise, t. U. (3)Guillelm. Maismerb. liv. Ill, p. 102, 106. -> Ingulphi kist. 4. — 34 — celte mosquée fameuse, la mosquée d'Omar, qui, aux yeux des musulmans, n'avait sa pareille dans le monde que celle de la Mecque. D'autres, les jpurs suivants, avaient envahi les opulents domaines des musulmans dans les canipagnes. et ils s'étaient avancés jusqu'à la frontière occidentale, bien que les Arabes d'Egypte y possédassent eecore plusieurs villes, quand la bataille d'Ascalon les avait rendus maîtres de la riante et fertile plaine de Sarog qui s'étend des montagnes d'Hébron jusqu'à la mer. On ne toucha pas aux propriétés des Syriens, soit de lavlangue grecque, soit pour le plus grand nombre de la langue arabe, l'émigration séculaire des Abba- cides d'abord, des Fatimites ensuite, ayant renouvelé Tan- cîenne race. Quand les Syriens apprirent qu'on donnait des lois au pays conquis, ils envoyèrent une députation à Gode- froi pour demander qu'on leur permît de s'administrer sui- vant leurs usages particuliers (1). Godefroi leur accorda d'avoir leurs juges ou jurés de cour, avec leurs présidents, que les croisés appelaient Ghevetaines, et les Arabes leurs reis. Mais pour toutes les querelles de sang, querelles où l'on pouvait perdre la vie ou les membres, il voulut qu'ils fussent soumis à la Haute-Cour ou à la Cour des Bourgeois de Jé- rusalem. C'était les rattacher au nouvel ordre de choses et les astreindre, quand il le faudrait, à fournir leur contin- gent de troupes en cas de guerre. Ils conservèrent toutes leurs propriétés. Sur les entrefaites, un événement imprévu, survenant dans l'assemblée même, vint arrêter tous ces ar- rangements et ébranler l'ordre public qui commençait à s'af- fermir. YIII. — On avait établi un tribunal d'Eglise composé des hauts dignitaires du clergé et présidé par le patriarche Daîm- bert. Ce tribunal jugeait non-seulement les causes des ecclé- (1) Assises de Jérusalem, Mss. de Venise, t. 1, p. 2. — 36 — siastiques, des religieux t)u de leurs biens, mais iatervenait dans un grajid nombre d'actes civils, baptêmes, mariages, cas de parjure, d'adultère, d'apostasie et d'hérésie (1). Loin de se contenter d'une puissance qui lui donnait, surtout alors, tant d'influence,* c'était la direction de l'Etat que ré- clamait Daïmbert. Les doctrines de Grégoire VII n'étaient pas à ses yeux une théorie vague. Il lui fallait, à lui, des villes, des pays, des biens, de l'or. Il vint donc réclamer pour lui- même la possession de la ville, de la citadelle, et enQn Jafla, pour avoir un port. On voit pourquoi le clergé de la croisade avait refusé à Godefroi le titre de roi ; à ses yeux, c'était l'Eglise de Rome qui, par ses délégués, était souveraine. Longtemps Godefroi et ses barons repoussèrent des préten- tions qui étaient la perte d'un état naissant. A la fin le duc,' persuadé qu'il suffisait de gagner'du temps, les chrétiens, enveloppés d'ennemis acharnés, ayant un besoin incessant d'un bras séculier, d'une épée, admit la chose en* principe et céda réellement à l'Ëglise le quart de la ville de Jaiïa, en mentionnant qu'il la donnait au Sépulcre et non au pa- triarche, ce qui maintenait la distinction des deux puissances, et lui conservait, à lui, chef seigneur, le pouvoir politique. Cette cession fut faite dans une grande solennité, célébrée le 2 février 1101 dans l'église du Saint-Sépulcre (2). Mais dès les jours suivants, soit qu'il s'aperçut que le duc avait été plus adroit que lui, soit qu'il n'eut voulu s'avancer que pas à pas, le patriarche réclama cette fois en toute propriété, c'est-à-dire, pour ce temps féodal, en toute souveraineté, la ville de Jérusalem, Ta citadelle, Jaffa, et toutes leurs dépen- dances, véritable vice- roi de Rome pour le pape Urbain li; Godefroi, à bout et ne voulant pas engager ouvertement la (1) Assises de Jérusalem, Cour des Bourgeois, t. II. (2) Guillaume de Tyr, liv. IX, ch. xiv, xv. xvi. - 36 — ' lutte sous les yeux des musulmans, déclara qu'il céderait encore ce qu'on exigeait, mais qu'il garderait la ville, la cita- delle et les trois autres quarts de Jaffa jusqu'à ce qu'ayant conquis d'autres villes sur les infidèles, il pût avoir quelques revenus nécessaires pour administrer l'Etat et entretenir son armée. Cette seconde cession fut faite avec la même solennité que la précédente, le jour de Pâques de la même année 1101, avec cette clause que si le duc mourait sans enfants, l'Etat tout entier reviendrait au patriarche, réserve qui; d'une part, montre que le duc. alors âgé d'environ quarante-cinq ans, songeait à se marier, et qui, de l'autre, met à nu les véri- tables desseins de Daïmbert(l). Mais Godeffoi, conlinuanttou- jours son œuvre de fondateur, faisait activement rebâtir la ville de Jaffa. Il l'entourait de remparts et de grands ouvrages de défense; il en creusait ou en améliorait le port, si dange- reux à cause des rochers dont il est hérissé, voulant faire de cette ville la principale forteresse de la Palestine, et même sa base d'opérations, pour achever sa conquête ou pour recon- quérir le pays, au cas où il viendrait à perdre Jérusalem (2). Il prit plusieurs villes l'été suivant; mais comme il garda Jé- rusalem et Jaffa, on doit penser qu'il songeait à distribuer ses conquêtes en fiefs à ses compagnons de fortune, pour n'être pas obligé de déposer ou d'affaiblir le pouvoir en face de tant de peuples irrités et dépouillés à la suite d'une si longue pos- session. Au moment où il (éployait tant d'activité, embras- sant dans sa pensée la Palestine tout entière et préparant l'avenir, qui lui eût dit qu'il serait arrêté si brusquement au milieu de sa carrière! Quand tous ces dissentiments furent apaisés ou détournés, on put reprendre la rédaction des As- sises. (1) Guillaume de Tyr, liv. CX, ch. xiv, xv, xvj. (2) Alberl d'Aix-la-Chapelle, liv. VI. — 37 — IX. — La fameuse hiérarchie féodale dont on a fait un caractère inhérent à la féodalité, n'existait pas au contraire dans la première période de cette sorte de gouvernement ; superfétation graduellement monarchique, elle n'est môme pas dans l'essence du régime féodal. Croyant à Tauthenticité de la rédaction actuelle des Assises, MM. Michaud (1) et Wil- ken (2) ont pensé que les quatre grandes baronnies de Jérusa- lem remontaient aux temps des origines, la baronnie de Jaffa, la principauté de Tibériade et les seigneuries de Saiette ou Sidon et de Tripoli. La seule qui ait été fondée par Godefroi est celle de Tibériade en faveur de Tancrède (3). Mais celle de Tripoli n'avait été créée que longtemps après lui pour Ber- tram, fils de Raymond de Saint-Gilles (4). Ce futBaudoinP', et non Godefroi, qui conquit Sidon et le donna à Eustache Garnier, fils (5) de ce fameux Garnier en Franche-Comté, à qui Godefroi avait donné une partie de la seigneurie de Gé- sarée. Enfin on a vu à quelle occasion, sous saint Louis, seu- lement, avait été fondée la baronnie de Jaffa. Ce nom de ba- rons ou bers était donné indistinctement à tous les nobles comme un titre d'honneur, aux chevaliers de haubert comme aux rois, et même aux saints, aux anges et à Dieu; c'est ce qu'on voit dans tous les ouvrages du onzième siècle. Quand on voulait parler de cette masse de croisés francs ou français qui accompagnèrent Godefroi, les termes consacrés étaient « les barons qui conquêtèrent la Terre (6). » Godefroi lui- môme s'appelait baron du Saint-Sépulcre. Renonçons donc (1) Histoire des Croisades, t. V, p. 13. (2) Geschichte des Kreuzziige, t. 11. * (3) Guillaume de Tyr. liv. X. (4) Lignages deçà mer. La Thauiriassière, p. 225. {b)Ibid., p. 227. (6) Le livre des Lignages deçà mer. La Thauinassiére, p. 224. — 38 — à faire remonter si haut Torigine des quatre grandes baronnies distinctes essentiellement des autres. Le territoire fut divisé en un certain nombre de Qefs, d*où sortirent plus tard des sous-fiefs, mais qui, au début et politiquement, étaient égaux entre eux. II devait y avoir pour en fixer les délimitations, un livre pareil au Dooms-day-Book de Guillaume le Conquérant. Mais ce règlement ne pouvait être annexé aux Lettres du Sépulcre. On Teût consulté trop difficilement pour des dif- férends qui devaient se présenter chaque jour. Les fiefs, pour le seul Etat de Jérusalem, devaient s'élever au nombre d'en- viron trois cents (1). Ainsi voilà déjà cinq institutions qui figuraient dans les véritables Assises deGodefroi et dès Tori- gine : la Haute-Cour, la Cour des Bourgeois, la Cour des Reis pour les Syriens, la Cour d'Eglise pour tout ce qui concernait les usages civils où intervenait la religion, enfin la répartition générale de la propriété en trois cents lots nobles ou fiefs. Ce sont là les grands traits de l'organisation de eette société nouvelle et de son gouvernement. La bour- geoisie industrielle, commerciale ou propriétaire de biens roturiers habitait les villes. Les serfs étaient dans les fiefs. Le possesseur de chacun de ces domaines nobles s'appelait le conquereor du fief. Mais ici nous nous trouvons arrêté dans notre marche par un obstacle en apparence infranchis- sable. X. — La rédaction actuelle des Assises ne datant que du milieu du treizième siècle, quand il s'agira d'en faire sortir, non plus ces cinq institutions seulement, mais leurs ca* ractères ou d'autres établissements secondaires, la cour de Chaîne ou la cour de Fonde, par exemple, peut-être tombe- rons-nous sur des parties de cette législation ajoutées par la tradition orale pendant le siècle et demi qui sépare l'établis- (1) Gaillaame de Tyr, liv. IX. — 39 ^- sement de Godefroi de Bouillon de la. rédaction de Jean d'ibelin. Arrêtons-nous alors (out-à-coup pour séparer ces parties plus récentes des usages acceptés tout d'abord, et quand nousaurons abattu ces annexes jointes au monument pour les besoins ou dans les idées des âges suivants, et qui portent toutes Tcmpreinte de leur époque originelle, nous pourrons de nouveau examiner en détail dans des propor- tions moins vastes, mais historiques, Tœuvre véritable de Godefroi de Bouillon. XI. — Et d'abord, Godefroi était « chef seigneur » de l'Etat de Jérusalem, mais il n'était pas roi, ce qui sera prouvé plus loin ; donc il n'avait pas de cour. 11 faut 'ainsi suppri- mer tout ce qui se rapporte aux officiers de la cour, conné table, maréchal, chambellan, patriarche de Jérusalem ayant seul ou avec d'autres le droit de sacrer le roi, luttes de pré- séance, disputes entre prétendants aux trônes de Jérusalem et de Chypre, dont les deux derniers ne vivaient qu'en 4350, c'est-à-dire un siècle après Jean d'ibelin lui-même. Ce sont en tout quarante-neuf chapitres, dont l'esprit d'ailleurs tout monarchique est contraire à l'esprit essentiellement féodal des Lettres du Sépulcre (1). Attaquons maintenant le vieux monument par un autre côté. Du chapitre IX au chapitre C dans le manuscrit (2) de Venise, voici de longues règles de procédure, des conseils aux avocats, aux juges, aux plaideurs, toutes choses qui ne se trouvent pas dans les législations primitives, contraires même à cette pensée qui poussa les seigneurs à dérober aux yeux du vulgaire les Lettres du Sépulcre et à conserver ainsi ce qu'ils regardaient comme les arcanes de leur puissance. « Ne ferai jamais borgès mon pareil, » répondait fièrement (1) Assises de Jérusalem. Mss. de Venise, t. 1, p. 166 et suiv. (2) Ibid., p. 5 — 52. — iO — Raoul de Tibériade au roi Amaury qui lui proposait de rédi- ger un Code, avant môme la disparition des Lettres du Sé- pulcre. Et que de fois Jean d'Ibelin s'excuse de révéler ces rèsrles que les seigneurs avaient jusque-là tenues si secrètes ! Bien plus, il y a dans ces chapitres un art rafGné de la chi- cane, des ruses très-immorales pour apprendre aux cou- pables à échapper à Faction de la justice qui constitueraient • aujourd'hui un véritable dol, un système de moyens cal- f culés et iniques pour donner au crime l'apparence de l'in- nocence, le tout accusant une législation prématurément I vieillie et qui, de détour en détour, avait fini par.se dé- | former elle-même. Comment retrouver tout cela dans cette époque des Lettres du Sépulcre^ époque naïve quoique sou- vent grossière, où la conscience était regardée corpme une , révélation lumineuse, et où pour faire des lois on voulait toujours partir de la notion de la raison et de la justice? Conçoit-on Godefroi insérant dans ses deux chartes des ar- ticles pour apprendre subtilement à un assassin, à un rené- gat, ou à l'auteur d'un crime honteux, la manière d'erhapper aux investigations de ses juges, à éluder leurs questions, et enfin à se soustraire à l'action de la justice? Voilà pourtant ce qu'on retrouve encore dans la rédaction actuelle des Assises de Jérusalem. Supprimons donc encore , et sans craindre de nous tromper, ces soixante-quinze chapitres qui ne remontent en général qu'à la première moitié du treizième siècle, bien loin d'avoir fait partie des Lettres du Sépulcre. Nous en ferons autant pour tous les articles et fort nom- breux où l'auteur parle d'usages suivis à la cour de Chypre, et pour toutes les Assises établies par les rois de Jérusalem, surtout par Baudoin I", par Amaury et par Guy de Lusi- gnan (1). Ainsi le roi Baudoin !*■[ fit Vàs^isedu coup apparent. (1) Assises de Jérusalem. Mss de Venise, t. I, p. 80. — 44 — L'auteur de la blessure ou des blessures étaitcondamné à une amende qui pouvait s'élever jusqu'à mille besants. On a con- testé que cette loi ait été établie par le roi Baudoin I", parce que, a-t-on dit, le besant était alors inconnu à Jérusalem. Mais le besant était en cours à Jérusalem non-seulement sous Baudoin I®', mais du temps même deGodefroi, comme on le voit par plusieurs passages décisifs de Guillaume de Tyr (1), et surtout d'Albert d'Àixla-Ghapelle (2). Le roi Amaury fit, avec le noble jurisconsulte dont on vient de parler, Raoul de Tibériade, les Assises sur les relations du roi avec les arrière- vassaux. Il cherchait à augmenter le pouvoir royal. Pourquoi fant-il ajouter qu'il ne fit ainsi qu'irriter les barons, que les chevaliers bannerets, se trouvant lésés dans leurs droits tra- ditionnels, refusèrent de marcher à la suite de la bannière royale plus d'un certain nombre de jours; indiscipline fatale que le roi Amaury devait prévoir et qui fut une des causes de la chute de Jérusalem. Qu'on était loin de l'armée de la pre- mière croisade, si forte, si unie, de cette armée invincible sons la main de Godefroi de Bouillon I Lui, cependant, n'avait pas môme le titre de général en chef; mais on l'ap- pelait avec enthousiasme «le chevalier des .chevaliers et le soldat des soldats (3); » et on le suivait dans les rangs des ennemis. On lui donnait d'autant plus de pouvoir réel qu'il semblait désirer moins de titres biillants. Enfin nous rejetons aussi un certain nombre de chapitres des Assises qui n'ont aucun caractère légal. L'auteur du treizième siècle quitte le style du juge ou du jurisconsulte pour prendre la plume de l'historien. Il y raconte à quelle occasion et dans quel but s'opérèrent quelques-unes des (1) Guillaume de Tyr, liv. IX. (2) Ibid , liv. VI. (3) Robert le Moine, liv. VIL VIII et IX. — Albert d'AIx-la- Chapc!!e, liv. 111, ch. iv. — Guillaume de Tyr, hv. III, ch. xvii. — 42 — transformations des Assises^ pages précieuses, disons-le, pour le jurisconsulte, le philologue, Thistorien du droit, mais qui portent avec trop d'évidence la date et le cachet du treizième siècle (I). Jetons maintenant un coup d'oeil sur ce travail de démo- lition que nous venons d'opérer. Environ les deux tiers du monument apocryphe sont tombés, et sur les trois cent vingt- deux chapitres de Jean d'Ibelin, il n'en reste que cent envi- ron ; mais on y peut chercher en sûreté la constitution simple, courte, impératîve et toute féodale des deux chartes primitives. Il ne faut pas oublier^ en étudiant ces cent cha- pitres authentiques qui nous restent, que tel chapitre qui, dans Jean d'Ibelin, occupe une ou môme deux pages. très- serrées d'un in-folio manuscrit ou imprimé, n'avait souvent à l'état d'article que deux ou même une seule ligne dans les Lettres du Sépulcre. Ces Lettres étaient écrites en dialecte picard, l'un des quatre principaux dialectes de la langue d'oïl, et qui était parlé dans tout le nord de la France. XII. — On sait que, pendant les trois siècles et demi où le régime féodal fut en vigueur, le principe de la propriété noble, la grande propriété d'alors, se confondait avec celui de la sou- veraineté. Tout seigneur était roi dans son domaine, c'est-à- dire indépendant. Mais ce principe, on le conçoit, devait se modifier suivant les temps et les pays. Le premier droit que la terre conférait à celui qui la possédait en fief, dans l'Etat de Jérusalem, était de pVendre part à la création des lois. Dans cette assemblée qui fit les Assises, Godefroi, on l'a vu, avait réuni « les princes, les barons et les plus sages hommes qu'il pooit avoer, » c'est-à-dire les plus instruits. Tout pos- sesseur de fief avait sa voix. Plus tard, et quoique l'idée mo- narchique tendit à étouffer ce régime féodal, quand les rois de Jérusalem voulaient faire des lois, dit Jean d'Ibelin, ils le (1) Assises de Jérusalem Mss. de Venise, I, p. 184 et passim. — 43 — faisaient parle conseil dou patriarche, et des hauts homes et des barons dou dît réaume et des plus sages qu'ils pooient avoer clers et laïs (1). n Plus tard encore, les rois de Chypre, comme la plupart des rois de l'Europe, voulurent détruire cette môme noblesse au lieu de s'appuyer sur elle, puis- qu'elle était alors la véritable force sociale, et d'élever ensuite les classes inférieures en les éclairant. Et l'on a vu que le jour même de l'assassinat de Pierre II, en 1368, la noblesse cypriote réunie se plaignit « que beaucoup de choses se fus- sent faites au temps passé sans Tassent' et l'octroi des hommes liges... au grand domage des hommes liges et de la communauté du peuple. » Le dernier mot montre que les seigneurs de Chypre voulaient organiser la société entière autour du principe féodal, comme en d'autres temps on l'a organisée autour de tous les principes ou forces vivaces d'une nation ; et ils demandèrent que désormais « les usages et les assises se tinsent comme elles furent ordenées et establies par Godefroi de Buillon et les homes liges et jurés (2). 9 Tous les barons, c'est-à-dire tous les nobles, petits ou grands feudataires, faisaient donc pdrtie de ces réunions où s'élabonaieut les lois, qui se confondaient à cet égard avec celles de la Haute-Cour, de même que tous étaient directement unis par l'hommage-lige au « chef seigneur de Jérusalem. » XIII. — Les principaux seigneurs avaient aussi le droit de justice, et, suivant les termes de la langue féodale, ils avaient « cour, coins et justice » dans leurs châteaux, c'est-à-dire qu'ils avaient assez de vassaux pour tenir une cour ou tribunal baronial, dont les décisions étaient scellées des coins du seigneur et qu'il présidait lui-même. Dans les causes moins importantes ou quand il s'agissait, par (1} Assises de Jérusalem, Mss. de Venise, 1. 1, p. L (2) Ibid. — u — exemple, de ses tenanciers ou de ses serfs, U faisait rendre la justice par un baiJli et des assesseurs nommés par lui. Quoique dans l'origine il régnât entre les barons celte égalité du parage, les domaines partagés furent cependant plus ou mois riches suivant les services rendus et l'importance per- sonnelle du feudataire. On ne récompensa pas, par exemple, un simple ohevclier de haubert comme on le fit pour Bau- doin du Bourg, Guillaume de Montpellier, Garnier de Gray, Guillaume le Charpentier (1), Hugues de Saint-Omer (2), Guy de Milli (3), la plupart amis dn duc de Lorraine, tous comme lui indépendants, princes dans leurs terres en France, comme lui aussi toujours les premiers au danger, ramenant à force d'héroïsme les croisés au combat quand ils pliaient ou fuyaient sur les champs de bataille. Ces deux classes de seigneurs qu'on trouve par la force des choses, avec la différence des hommes, dès le commencement se dis- tinguèrent de plus en plus l'une de l'autre, quand l'adminis- tration de la Palestine et cette distribution des fiefs se régu- larisa, en se compliquant, jusqu'à ce que se fussent formées vingt-deux seigneuries principales, parmi lesquelles on compte enfin, comme couronnement de cette organisation de moins en moins féodale, (es quatre grandes baronnies. A chacune de ces seigneuries, qui avaient leurs sièges dans les principales villes de la Palestine, étaient rattachées une et quelquefois plusieurs cour? de bourgeoisie. Voici le tableau de ces vingt-deux seigneuries qui nous représentent toute la haute aristocratie de la Palestine, hauts-hommes, francs- hommes, hauts-barons, avec les cours de bourgeoisie corres- pondant à chaque seigneurie et présidées par des vicomtes à la nomination du feudataire Le vicomte, comme dans (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VIll. (2) Le livre des Lignages deçà mer, la Thaumassière, p. 226. (3) Ibid. p. 229. — 46 ' toutes les villes de l'Europe féodale, était le lieuteuriit du seigneur pour rendre en son nom la justice dans chaque cour de bourgeoisie et administrer la ville. GRANDES SEIGNEURIES AYANT COUR, COINS ET JUSTICE. VILLES OU SIEGEAIENT LES COURS DE BOUOEOISIE CORRESPONDANT A CHAQUE GRANDE SEIGNEURIE. 6° Saiette. Naples, aujourd'hui Naplouse, 1® Jérusalem. Haute-Côur pou- V ancienne Sichem. vant se tenir dans toutes les / Acre, aujourd'hui Saint-Jean- villes de la Palestine ) d'Acre, ancienne Aco, Ptolé- [ maïs. 20 Comté de Jaffaet d'Ascalon.. \{^% ancienne Joppe, Japho. l Ascalon. 3° Dames Dames. 40 Ibelin Ibelin. 50 Galilée (principauté de). ... \]^^^ll^' Tibériade. Aujourd'hui Saïde, ancienne Si- don. Beaufort. 70 Césaire j Césarée, ancienne Tour de Stra- 1 ton, aujourd'hui Kaïsarich. Qo Bessan S Bessan, ancienne Scytopolis, au- I jourd'hui Bethsan. [ Crac, l'ancien Petra, aujour- 90 Cra et Montréal ) d'hui Kerek / Montréal, réuni à Kereck. / Saint-Abraham, ancienne He- 10° Saint- Abraham. \ bron, aujourd'hui Khalil et i Keriath-Arba. 110 Blanche-Gardes ^ fafic!' ^''J^''''^'^''' '^'^'^^' 120 Lide à l'évêque de Saint- ( j . , Georges i^^^^' 13* Arsur j Arsur. 14o Césaire au château Pèlerin ' -Saint-Georges du Sabach. 15© Caïphas Caïphas. I60 Caimont Caïmont. 170 Nazareth (archev. de) 1 Nazareth. ]8o Fief au comte Jocelin Château du Roi. Escandélion. Sur (anc. Tyr.) 190 Escandélion 200 Sur ( Touron , m ^,„ ) Bilinas )STo- 21« { Sebele Que l'on compare les phrases étendues et les longues pages des autres chapitres sur.des sujets ana- logues, par exemple « sur les homes qui peuvent être pris pour champions, » et Ton sera frappé du contraste qu'ils (1) Assises de Jérusalem, Mss. de Venise, t. I, p. 44. — 53 — forment avec Tallure vive et le tour concis de ces quatre fragments, précieux et authentiques débria d'une tradition orale qui avait servi à former les Lettres mêmes du Sépulcre. Peut-être suffîrait-il de quelques changements dans les mots pour retrouver d'abord les articles mômes des Lettres et remonter ensuite à cette tradition originelle d'où découlèrent toutes les coutumes bien antérieures aux Lettres du Sé- pulcre. Nous venons d'étudier surtout l'aristocratie de la Palestine; il faut maintenant connaître la classe inférieure de cette société nouvelle, classe qui a, elle aussi, ses usages particuliers, sa vie, sa physionomie. Nous avons visité les châteaux et les seigneuries. Pour y connaître la bourgeoisie, nous entrerons maintenant dans les villes. XVIL — Le livre des Assises des bourgeois n'est pas plus la seconde charte de Godefroi que le livre d'Ibelin n'était la première (1). Mais, on l'a vu plus haut, il fut rédigé à Jéru- salem même sous le roi Amaury. Premier document aujour- d'hui connu de la législation d'outre-mer, il se rapproche davantage de la loi primitive; celle-ci avait eu moins de' temps pour se transformer. Le rédacteur avait pu converser avec des vieillards qui auraient vu dans leur jeunesse Gode- froi de Bouillon.- M. Beugnot a regar,dé ces Assises comme un recueil de décisions de la Cour des Bourgeois une fois cette Cour établie (2), ce qui le rendrait presque aussi curieux qu'un code ; mais il ne renferme aucune décision de ce tri- bunaL Forme froide et sententieuse ; aucune de ces réflexions morales, de ces détails historiques qui ornent et animent l'ouvrage du vieux baron de Jafl'a et lui donnent parfois un (1) Assises de Jérusalem^ t. II, p. 1 et suiv. (2) Assises de Jérusalem, édit. de M. Beugnot t. il, Introdac- tion. — 54 — air si piquant, en nous transportaut tout à coup au milieu de ce monde de chevaliers, en les faisant parler eux-mêmes. Ce devait être le cahier dont se servait Tun des jurés de la Cour des Bourgeois pour se guider dans ses décisions. Dans le manuscrit de Munich, il est hérissé des citations latifins empruntées à l'Ancien et au Nouveau Testament, et dont la plupart ont été regardées comme des interpolations ou reje- tées même à la marge dans le manuscrit de Venise. Ceci rappelle un peu la manière de Bossuet dans la Politique sacrée^ avec un esprit bien différent, à cette époque d'indé- pendance, même pour des bourgeois, de l'esprit qui a pro- duit l'œuvre bien affaissée du jurisconsulte du droit divin. Il n'y avait pas de membre de TEglise, de Romain^ comme on disait alors à Jérusalem, parmi les jurés de la Cour des Bourgeois; mais peut-être quelque clerc du tribunal d'Eglise aura-t-il ici abusé de sa mémoire et de la facilité qu'on a toujours à couvrir gn livre de citations de ce genre. La Cour des Bourgeois de Jérusalem était présidée par un vicomte nommé par le chef seigneur, ce qui rattachait les bourgeois à la haute classe, comme dans beaucoup de villes de l'Occident, l'aristocratie étant ainsi comme le centre d'où partaient toutes les Institutions du gouvernement féodal. En établissant cette Cour des Bourgeois et des cours analogues dans les vingt-deux principales villes de la Palestine, la no- blesse ne s'était point affaiblie; elle s'était réglée, seule ma- nière de s'affermir. Q'aurait-elle fait en Palestine et partout sans une classe bourgeoise? Qu'auraient fait les patriciens de Rome si la plèbe, trouvant tardive la création des tribuns^ se fût bâtie une ville sur le Mont-Sacré? M. Beugnota révo- qué en doute l'existence de cette Cour dans l'origine, parce que les Assises ne font connaître ni le nombre des jurés, ni par qui ils étaient élus, ni à qui ils prêtaient serment. Mais — 55 — l'établissement de cette Cour était dans la force des choses, un besoin inhérent à la société féodale. La première croisade ne fut pas seulement une expédition militaire mise en mou- vement surtout par la foi religieuse ; ce fut encore une émi- gration, surtout de la race gallo-franque, bourgeois, com- merçants, laboureurs, serfs, avec leurs familles. On les ap- pelait le commun du peuple^ et ils étaient si nombreux, simples guerriers où pèlerins, et souveht si hostiles aux nobles, que plusieurs fois, dans les marches de Tarmée à travers l'Europe et TAsic- Mineure, ils se soulevèrent contre eux à Ântiocbe, à Tyr, et bien ailleurs. Les simples hommes d'armes couraient sus aux chevaliers (i). Il y avait là une force sociale vivace qu'on ne pouvait, comme toujours^ em- pêcher d'être dangereuse qu'en lui faisant sa part au soleil. Il fallait une institution qui la réglât, en la représentant, et en la rattachant par ses intérêts à ceux de la haute classe. Cette institution fut la Cour des Bourgeois de Jérusalem, jointe à toutes les autres cours de ce genre établies dans les autres villes. L'une des chartes du Cartulaire du Sépulcre^ datée de 1131, porte les signatures des bourgeois de Jérusa- lem (2). ËDÛn Jean d'Ibelin, parlant des deux cours dans les mêmes termes, 11 faut les rejeter ou les accepter également toutes deux comme remontant jusqu'à la première ccoi- sade. XVIII. — Nous n'en dirons pas autant de deux autres tri- bunaux dont la juridiction est déterminée par la même ré- daction des Assises des bourgeois^ les cours dites de la Chaîne eide la Fonde (3) .-Les premiers étaient des tribunaux éta- (1) Historiens des Croisades, Gnillaume de Tyr, VI. (2) CartuL du Saint-Sépulcre, p. 91. (3) Assises des Bourgeois, Mss. de Venise. Ihià., — 86 — blîs dans les principaux ports de la Palestine et de la ^yrip, Gaza, Jaffa, Acre, qui, déjà sous lesderniers rois, était regar- dée comme une seconde capitale, Tyr, Sidon et Berythe, pour régler ce qui concernait le commerce maritime. Leur nom leur venait de la chaîne qui fermait l'entrée de ces ports. Les fondes {fundi) étaient des entrepôts de commerce, des bazars, comme on dit en Orient, établis surtout à Tyr, à Acre et à Tripoli. Là affluaient les produits de l'Europe et de l'Asie; là les commerçants de la Perse et de l'Arménie d'un côté, ^t de l'autre les Génois, les Vénitiens, les Marseillais accouraient, les uns en grandes caravanes marchandes, les autres sur de nombreux bâtiments chargés des richesses et des productions de tous les pays ; la Méditerranée était rede- venue la grande route du commerce de tout le monde connu. Mais les tribunaux de commerce nommés fondes, établis à l'imitation des juridictions semblables qu'on trouve, par exemple, àTrani en 1065, à peu près au temps de la nais- naissance de Godefroi (J), puis à Pise, à Marseille, en 1161, ne purent fonctionner qu'au moftient où l'émigration occi- dentale, toujours considérable au rapport de Jacques de Vitry, prit un caractère industriel et commercial, c'est-à-dire au temps du roi Foulques, troisième roi de Jérusalem. Sans doute, dès l'origine, ce mouvement commercial était préparé. C'est Godefroi qui avait établi de fréquentes relations entre les villes de la Palestine, par terre, et qui les avait interdites par mer aux habitants turcs ou sarrasins deCésarée, d'Acre et d'Ascalon, ce qui avait fait de Jérusalem et de Jaffa les deux principaux marchés de la Palestine. C'est Godefroi qui, par une sorte de système protecteur appuyé par des moyens ter- (1) La ni^issance de Godefroi de Bouillon^ doit être placée vers Tannée 1060. Noas en donnerons ailleurs les raisons. — 57 — ribleset qui rappellent (Godefroi était de Boulogne) (1) l'esprit hardi des corsaires de la MaDcbe, c'est lui qui a créé le com- merce de ce pays. Nous ne parlons que de l'organisation môme des deux tribunaux de commerce, qui fut certainement postérieure. On a vu aussi que Godefroi avait institué la cour des reis ou magistrats de naissance syrienne pour juger les procès civils des Syriens. Mais après la mort de Godefroi et sous ses successeurs, bien moins habiles que lui, les Syriens, traités non en compatriotes qu'on défend, mais en vaincus qu'on dépouille, en furent réduits, quoique chré- tiens, à faire des vœux pour le retour des Turcs ^eldjoucides ou des Arabes d'Egypte. Alors les cours de Ponde rempla- cèrent en partie celles des reis. Chaque cour de Ponde avait un président franc, souvent chevalier, ce qui est singulier, d'autres fois bourgeois, et six jurés, quatre Syri^îns et quatre de naissance franque. XIX. — Quant à l'ensemble des dispositions des Assises des bourgeois, on y voyait d'abord les droits et les devoirs du vicomte et des douze jurés, des avant-parliés ou avocats, et la compétence de la cour. D'Ibelin dit que là se trouvait le ser- ment que les jurés devaient prêter, et comme nous ne le trou- vons pas dans la rédaction qui nous est parvenue, nous en con- cluons qu'il en avait une autre sous les yeux. Venaient en- suite les dispositions des contrats de vente, la juridiction des cours de Chaîne et de Ponde, les contrats du prêt et de plege- nie ou de caution, ces derniers si nécessaires dans un pays toujours en mouvement à cause des émigrations incessantes et où les débiteurs offraient souvent si peu de sûreté, enfin - toute la procédure civile, les délais pour comparaître en jus- (1) Nous prouverons aussi que Godefroi était de Boulogne-sur- Mer. — 58 — tice avec des procédés nouveaux pour éluder la loi, et d'autres secrets de cet art de la chicane où s'était déjà complu Jean dlbelin, devenaut dans cette partie de son ouvrage une sorte de Machiavel du treizième siècle, puis vingt-neuf chapitres relatifs aux mariages, empêchements^ nullités^ cassations, et la communauté des biens en vigueur en Palestine comme dans le nord de la France (1). Les soixante derniers chapitres sont relatifs au droit pénal. XX. — Cette pénalité était à peu près la même dans les deux cours. Pour un certain nombre de cas, et non pour tous, comme on l'a écrit, seigneurs et roturiers pouvaient également avoir recours au duel judiciaire. Aux uns l'épée, le bâton aux autres ; les armes seules différaienl. Seigneurs ' ou roturiers, si leur champion était vaincu, étaient égale- ment pendus : telle était du moins la légalité ; on va voir comment on y échappait. Parmi les ordalies ou épreuves ju-, diciaires, la plus usitée devant les tribunaux de la Palestine était la juyse. La juyse (iudicium) était un fer rougi au feu, que l'accusé devait tenir dans sa main pendant un temps dé- terminé ("2). Le vol, les coups, les blessures, étaient les délits le plus sot? vent punis. La peine du vol était la fustigation, le bannissement, et, en récidive^ la mutilation et même la mort. Les mutilations étaient affreuses, et l'on est effrayé en voyant la peine de mort présentée à chaque article de cette législation et sous les formes les plus ignominieuses, a Sa- chez, lit-on au chapitre 278, que la loi et la reson comande que tous les mauvais homes doivent morir de laide niort, si come tous ceux qui sont accoutume à mau faire, et de con- sentir les mau, lairons, traitours... tous les mauvais homes (1) Mss. de Venise, Assises des Bourgeois^ p. 27. (2)/6id.p. 41. — 59 — et les mauvaises femes : tous ces doivent morir (1). » A la vue de ces supplices atroces et de cette mort qui frappe sans re- lâche, on frémit comme si Ton se trouvait tout à coup au milieu d'uu monde sauvage. Mais ces horreurs se retrou- vaient alors en Italie, en France, en Angleterre, en attendant rinquisition. Elles font voir tous les progrès que les peuples de TEurope ont fails depuis ces temps barbares, et tous ceux qu'ils sauront encore accomplir avec l'instruction, si elle revêt un caractère moral. Qui pourrait accuser un l'Hôpital, un Lamoignon, un d'Aguesseau, un Turgot, ou tout autre sage, de ce que la torture existait encore de leur temps ? Tout porte à croire qu'on n'en fit pas même mention dans les Z6^^r^5 primitives et que Jean d'Ibelin ne les recueillit que dans les usages non écrits et dans la tradition. Enfin, même dans cette tradition pénale, ces lois étaient surtout commina- toires, comme dans toutes les législations de ce genre, lois des Douze-Tables. Loi salique, Capitulaires, Assises de Jéru- salem. Ici toutes les peines, même celle de mort, pouvaient se commuer à prix d'argent, excepté dans trois cas seulement, trahison, agression armée contre son seigneur, et crime du renégat (2). Le sens moral, se perdant peu à peu, amenait un adoucissement par l'indifférence même des esprits^ L'argent remplaçait la justice: civilisation à cet égard prématurément corrompue el décrépite, et où l'on ne se sauvait de la bar- barie que par un raffinement de barbarie. XXI. — Mais quel pouvoir accordait à Godefroi de Bouil- lon cette constitution qui découle toute du principe féodal, tandis qu'ailleurs ce principe se combine avec des éléments monarchiques? D'abord Godefroi ne fut pas roi. Le titre ne (1) Mss. de Venise, Assises des Bourgeois, p. 41. (2) Ibid. — 60 — lui fut donné ni pendant sa vie ni après sa mort^ même par ceux qui, ayant transformé son gouvernement en une royauté, avaient intérêt à la mettre sous le patronage d'un si beau nom. Ouvrez le Capitulaire du Sain(-Sépulcre qui ren- • ferme les donations des chefs des croisades aux chanoines chareés de garder le tombeau du Christ (1); Godefroi n'y prend que le titre de Duc (2). Baudoin lui-même, devenu roi, ne donne pas d'autre titre à son frère (3); enfin Baudoin duJBourg, neveu de Godefroi et successeur du premier Bau- doin, Baudoin du Bourg, que Ton regarde toujours comme le troisième roi, se désigne lui-même sous le norm de second roi de Jérusalem (4). Ce point est donc solidement établi. Au contraire Baudoin, son frère, qui fut bien, lui couronné roi àBéthléhem, sur Tétable du Christ, était un monarque fastueux. Il s'avançait dans les rues de Jérusalem vêtu à l'orientale, avec une longue robe tissue d'or et coiffé d'un ample turban. Il faisait son entrée dans les villes de la Pa- lestine, achevai, entouré d'une escorte brillante, au ttiiWêu d'un grand concours de population, chevaliers, pages, ' hommes d'armes, bourgeois, paysans syriens, précédé de hérauts richement mis qui sonnaient dans de grandes trom- pettes pour accompagner sa marche ou signaler son arri<^ée. Et cependant ce fut seulement sous Foulques d'Angers, l'époux de la belle Melisende, que la cour fut constituée avec ses quatre grands officiers, pareils eux-mêmes à des princes, le maréchal, le sénéchal, le connétable, le chambellan. C'est Daïmbert qui, le premier, avait voulu établir la dignité royale en faveur de Bohémond, pour obtenir, en flattant son (1) Cartul du Saint-Sépulcre, par M. de Rozière, Paris, 1849. (2) Ihid. p. 34. 47. (3) Ibid p. 35. (4)i6id. p.36, 81,85, 86. — 61 — ambition, les concessions politiques et territoriales qu'il n'avait pu obtenir de la vertu deGodefroi (1). Survenant tout à coup au milieu de ces intrigues, Baudoin avait enlevé la couronne. Godefroi s'appelait lui-même « le duc Godefroi par la grâce de Dieu défenseur [advocatus) de l'église du Saint-Sépulcre (2), et son titre officiel était celui que nous lui avons donné ici « chef seigneur », c'est-à-dire premier sei- gneur de Jérusalem (3). XXII — Tous les barons, c'est-à-dire les principaux sei- gneurs et les vassaux de ceux-ci lui rendaient directement l'hommage-lige, ce qui n'avait pas lieu en France, où les arrière- vassaux n'avaient aucune obligation directe avec le roi (4). Tandis qu'en France, pays trop vaste pour n'avoir qu'un seul seigneur direct, toutes les seigneuries indépen- dantes, c'est-à-dire souvent ennemies les unes des autres, ne purent jamais arriver à former une assemblée et eurent presque toujours les rois pour adversaires, à Jérusalem, sei- gneurie qui n'était pas plus vaste qu'un de nos grands fiefs, Godefroi, recevant l'hommage-lige de tousses vassaux, pré- sident de la cour des barons, était nécessairement le chef, c'est-à-dire le défenseur de sa noblesse. Mais, dira-t-on, Godefroi n'avait pas le prestige d'une cour. Non ; mais il vi- vait au milieu de ses seigneurs, de ses bourgeois, c'est-à- dire de ce qui formait alors les idées et comme le souffle na- tional, ce qui valait peut-être une cour, c'est à-dire cet en- tourage d'hommes trop souvent ignorants et cupides, si corrompus et si trompeurs. Au lieu de se corrompre lui-même et de s'user, il continua à grandir moralement, même après (1) Historiens des Croisades, t. 1. Guillaume de Tyr, lib. X. (2) Annales Baronih t. Xll, p. 4. (3) Mss. de Venise, Haute-cour, rubriqae, 3. (4) Ibid.y Rubrique, 4. — 62 — soa élection. Nous en citerons deux exemples qui feront mieux connaître Tesprit de ce législateur. XXIII. — Quelques mois après avoir achevé sa législation, il revenait du siège d^Arsur à la tête de son armée. Il s'était arrêté dans la plaine deSaron, en vue de la mer. Attirés par sa réputation qui se répandait dans toutes les contrées de TAsie, des émirs sarrasins descendirent des montagnes de Samarie avec une suite imposante, et vinrent lui offrir, sui- vant l'usage de ce pays, du pain, des figues et des raisins cuits au soleil. Il était descendu de cheval, avait mis à côté de lui son casqué et son épée, et sans officiers, sans gardes, il se reposait sur un méchant sac de paille en attendant ses fourrageurs, qu'il avait envoyés battre la montagne. Conduits sans délai devant lui, ces émirs ne pouvaient revenir de leur étonnement. « Quoi! se disaient-ils entre eux, c'est lui! Un si grand prince, un cheik si digne d'admiration, qui est venu du fond de l'Octsident, qui a ébranlé tout l'Orient, et dont le bras vigoureux vient de conquérir un Etat, est là, couché obscurément, sans gloire, sans avoir ni tapis ni vêtements de soie, suivant l'usage des t'ois, sans être entouré de gardes nombreux et bien armés pour se faire craindre de ceux qui voudraient s'approcher de lui I » En voyant leur étonnement, Godefroi demanda ce qu'ils avaient dit. « La terre» leur répondit-il alors, peut bien j)Our un instant fournir un siège à l'homme, puisque, après sa mort, elle deviendra sa demeure pour toujours (1). Les émirs avaient voulu voir un conqué- rant; ils se trouvaient en présence d'un sage. Leur admira- tion ne fit que s'accroître, et ils se disaient dans leur style oriental : — Cet homme est vraiment celui qui doit conqué- rir le pays et à qui il a été donné de gouverner les peuples (1) Historiens des Croisades, Guillaume de Tyr, etc., iiv. IX. — m — et les nations. » A la bataille d'Âscalon, avec une armée de 15,000 hommes il coupa en deux, et par une double charge irrésistible, Tarmée combinée des Turcs et des Arabes, forte de 200,000 hommes et commandée par un chef habile. Témir Afdai, qui avait pu l'envelopper (1). Au moment où, vers le soir, en promenant ses regards dans la plaine il se vit maître du champ de bataille, il fut entouré par ses compa- gnons d'armes, barons, comtes et chevaliers, avec leurs ban- nières flottantes, et qui,au milieu des chants de triomphe unis aux sons des cors, des harpes et des trompettes, lui présen- taient des palmes et le félicitaient de sa victoire. Il leur ré- pondit en chevalier: « Mes mains sont fortes parce qu'elles sont pures (2j. Jamais le roi Baudoin, dans la splendeur de sa cour et au milieu de toute sa gloire, a-t-il rien dit d'aussi grand ? XXIV. — C'est ici qu'on peut se représenter l'extérieur de Godefroi de Bouillon tel que l'ont dépeint Guillaume de Tyr et les chroniqueurs qui l'ont vu. Il était grand, moins grand toutefois que les hommee de la plus haute taille (3). Ses membres étaient vigoureux et bien proportionnés; il avait la poitrine large et forte, une belle figure, la barbe et les cheveux d'un blond vif (4), les yeux bleus, les traits fins (5), la parole habituellement douce, avec une sorte de charme répandu sur sa physionomie (6). Il semblait se trans- former tout à coup à la vue ou même à l'approche de l'en- (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VI. (2) Ibid. (3) Willermi Tyrensis, etc. Lib. IX, cap. V. (4) Ihid. (5) Roberti Monachi Historia, Historiens des Croisades, t. HI, p. 7-21. (6) Ibid. — 64 — Demi (i). li n'y avait qu'uoe yoix sur sa supériorité, parmi tous les guerriers de son temps , dans le maniement des armes et dans tous les exercices de la chevalerie (2) : le premier sur les champs de bataille comme il était le premier dans les conseils. Un tel homme avait-il besoin d'un sceptre pour être souverain ? XXV. — Maintenant, pour mieux connaître la part per- sonnelle qui lui revient dans la rédaction des Assises à leur début, entrons encore plus avant dans l'esprit de ces anciens ^ siècles et pénétrons- nous de cette pensée que ces Assises étaient une coutume, c'est-à-dire un ensemble d'obligations librement acceptées, et non une loi à la façon des lois ro- maines, c'est-à-dire imposée par un homme « affranchi lui- même de toute loi, d suivant un mot d'Ulpien. Cette absence de liberté dans la loi jointe au souvenir d'impôts écrasants, autre marque d'assujettissement et de servitude, était restée dans l'esprit des Francs comme une impression mêlée d'hor- reur, ce qui explique en partie ce mouvement de joie natio- nal'î avec lequel ils s'étaient rejetés, au temps de la révolu- tion féodale, dans leurs coutumes tradiiionnelles quoique plus rétrogrades et plus barbares : elles venaient du moins d'un sentiment libre sans lequel il n'est aucune civilisation réelle. La France ne devait retrouver le droit romain qu'en se dégageant de la féodalité, au temps de saint Louis. Guil- laume deTyr affirme clairement que les Assises étaient une coutume. « Le roi Baudoin, écrit-il, avait une pleine con- naissance du droit coutumier par lequel le royaume d'Orient était gouverné, au point que dans les cas douteux lés sei- (1) Roberti Mooachi, Historia, Historiens des Croisades ^ t. III, p. 721 (2) Willermi Tyreusis, ete. îbid. G. F. Mainibourg, Histoire des Croisades, liv. 1, p. 39. — 65 - gneurs mêmes et les principaux barons consultaient son ex périence, et admiraient tant d'instruction et desavoir (1). » Guillaume de Tyr, répétant cette pensée en parlant du roi Amaury, écrit qu'il n'avait pas son pareil dans la connais- sance du droit coutumier par lequel le royaume de Jérusa- lem était gouverné (2), ce que confirme Jean d'Ibelin en ces mots : « 11 sot miaus les uz et les Assises que nul autre (3). » Ainsi les Assises étaient un recueil d'usages, une coutume comme celles d'Orléans, de Normandie, de Bretagne, de Paris, De plus elles étaient tirées des coutumes] orales de la France. On n'en saurait douter, puisqu'elles étaient rédigées en français, puisque les législateurs de la Tour de David s'appelaient eux-mêmes « les Francs, » « les barons francs. » D'ailleurs Jean d'Ibelin affirme deux fois l'origine fran- çaise des Assises (4). Ce nouveau point établi, il nous sera facile de montrer qu'elles furent tirées non pas des institutions du midi de la France, mais des coutumes orales du nord de ce pays. D'abord on a vu que tous les seigneurs du midi, avant qu'on ne s'occupât de cette légis- lation à Jérusalem, étaient partis de cette ville avec Ràimond de Saint-Gilles, les uns, pour s'établir avec lui dans son riche et vaste fief de Laodicée, les autres, pour ren- trer dans leurs châteaux en France, après avoir ainsi accom- pli leur lointain pèlerinage. D'ailleurs la législation des Assises n'avait presque rien de commun avec celle du raidi de la France soumise au droit romain (5). Ici toutes les terres (1) Historiens des Croisades^ I. Guill. de Tyr, iiv. XVI, ch. ii. (2) Ibid., Uv. XIX, ch. ii. (3) Mss. de Venise, p 174, v. (4) Ibid. Erremens dou roi Hugues. (5) KUmrath. Études sur les Coutumes^ Paris, 1838. 6. — 66 — étaient allodiales, tandis que les conquérants des croi- sades divisèrent toute la Palestine en fiefs, ce qui se prati- quait sans exception, depuis deux siècles et demi, dans le nord delà France; et il faut toujours entendre, par ce nom, la France territoriale, la vraie France, celle qui est toujours la môme, malgré tous les changements politiques apparents et à la surface, la France jusqu'à la rive gauche du Rhin, hh prévalait partout la vieille maxime austrasienne : Nulle terre sans seigneur. Beaumanoir fait encore mieux connaître la différence qu'il y avait à ce sujet entre Tusage du Nord et celui du Midi en disant, non sans vigueur, pour la région septentrionale : « Nul n'y peut tenir alleu (1). » Or, dans les villes de la Palestine, les entrepôts mêmes de commerce étaient rarement purs de redevance et de censive; et, quant à la masse de la propriété rurale^ elle était presque entière ment composée de ce qu'on appelait alors fiefsdo?ninan(s et fiefs servants; toujours des flefs comme dans le nord de la France. Nous aboutirions toujours à la même conclusion, si nous voulions entrer plus avant dans les détails. Ainsi, dans le Midi, la femme mariée restait sous la puissance de son père, de son aïeul, tandis que dans les il^^i^es l'acte de son mariage était pour elle un titre d'émancipation, comme dans les coutumes du Nord. Gomme en Flandre, comme en Lor- raine, le vassal à Jérusalem pouvait avoir deux seigneurs, (K sauf, ajoute le législateur de la Palestine, la féauté de celui à qui il a été fait le premier hommage (2). o Enfin, quand les Assises établissent, par exemple, qu'une grande . baronnie ne peut être « ni par douaire ni par sœur par- tie, » elles ne font, tout en généralisant cette sorte de (1) Goulumes du Beaavoisis, par Beaumanoir, p. 122. (2) Mss. de Venise, 1. C'est ane régie de l'ancien drojit gailo franciqae. — 67 — • loi salique, que répéter un article de la coutume du Beauvoisis, exprimé exactement dans les mômes termes par Beaumanoir, ce qui montre, détail précieux à. re- cueillir, que, même après une rédaction écrite, les coutumes étaient encore longtemps conservées dans la mémoire des hommes et par la tradition des juges. A Jérusalem, on Ta vu, après avoir écrit la législation, on porta le livre qui la renfermait dans un eudroit, où Ton ne pouvait la consulter que difficilement pour Tusage habituel des tribu- naux. ^Si nous ne craignions d'abuser de l'indulgence de TAcadémie, que de textes semblables, et pour le fond et pour les termes, nous pourrions mettre ici en regard les uns des autres, et tirés, d'une part des Assises, et de l'autre des coutumes de Sentis, 'de Clermont, d'Amiens, de Saînt- Quenlin, et de toutes les coutumes des deux Lorraines, jusqu'au Rhin, et de l'Alsace. Mais nous avons réuni assez de faits pour pouvoir légitimement dire que les Assises de Jérusalem émanent du môme esprit et sont con- çues souvent dans les mêmes termes que les coutumes du nord de la France. Voilà encore un point acquis dans une étude si délicate, si périlleuse, quoique si attrayante pour ceux qui aiment à s'enfoncer résolument dans ces ténèbres mystérieuses de nos origines, et où nous nous étions pro- mis de n'avancer que pas à pas. Un pas encore toutefois, et tout de suite. Ici, nous allons nous séparer, en apparence, de ces grands j urisconsultes fran- çais du seizième siècle, qui disaient que les Assises de Jéru- salem étaient tirées des coutumes de France. Nous disons, nous, que les Assises de Jérusalem et les coutumes du nord de laFranc3 sont des législations congénères, qui découlent également d'une coutume primitive conservée longtemps sous une forme orale, et qui s'est brisée en une foule de brillants \ — 68 — fragments au temps de la révolution féodale. L'un de ces fragments, le plus ancien, le plus précieux de tous, s'est re- trouvé à Jérusalem. Comment, d'ailleurs, expliquerait-on autrement la ressemblance de deux législations dont Tune paraît en Orient, pour s'y perfectionner et s'y polir, et dont l'autre se retrouve au fond de notre vieille Gaule, à l'ex- trémité de l'Occident. Il faut donc une coutume primitive. Or, nousavonsétabli,àccttepIace aussi, qu'à l'oridne Gau- lois et Franks s'étaient trouvés en face les uns des autres (1), d'abord sur les deux rives du Rhin, et ensuite dans la région entre le^ Rhin et la Seine ; qu'ils s'y étaient unis peu à peu, à la suite tantôt d'émigrations lentes et tantôt d'agressions violentes ; que cette union était devenue indissoluble lorsque les vainqueurs avaient embrassé la religion des vaincus, Clovis et tous ses successeurs, même sous la seconde race, devenant les chefs non-seulement des Franks, mais desévêques gallo- romains, classe la plus éclairée, qui entraînait avec elle tous les Gaulois (2); que cette môme union avait été rendue plus forte encore parce que Gaulois et Franks avaient lutté en- r semble, et presque toujours avec gloire, contre une autre race d'où descendent les Allemands modernes , la race teutonique, qui ne parut en masse qu'au temps des inva- sions, au quatrième et au cinquième siècles de notre ère (3). Les Gallo-Franks avaient rejeté toujours ces bar- (1) Compte-rendu de V Académie des sciences morales et po2t- tiques, 1871, p. 541-543. (2) M. Giraud, Etablissement des Franks dans la Gaule ^ Journal des savants^ année 1872, cahier de décembre. (3} Nous sommes ici d'accord avec tous les textes, et, pour les points principaux, avec la doctrine reçue dans tous les siècles. Nous repoussons de toute notre énergie la doctrine historique que — 69 — bares chez eux, c'est-à-dire au-delàdu Rhin. Nous avons alors montré que dans ;cette région, entre Rhin et Seine, entière- ment soumise à la loi salique du temps de Charlemagne, s'était formé et conservé le vieux droit francique ou plutôt gallo francique, mélange d'usages franks et gaulois, ceux-ci vigoureusement rajeunis, comme le sang celtique l'avait été par la race franke. Voilà ce qu'est à nos yeux cette cou- tume primitive, 4'où découlèrent toutes les coutumes du nord de la France. Voilà cette source originelle. les Allemands ont fait prévaloir depuis viDfi[tans dans leurs livres, dans leurs gymnases et dans toutes leurs écoles primaires. Suivant eux, la France n'existe que depuis le traité de Verdun. Les rois Mérovingiens et les Carolingiens étaient des rois allemands qui possédaient la Gaule. Débris obscur des états de Charlemagne, la France resta obscure pendant tout le Moyen-Age, et ne devint un état important que depuis Henri lY. Nous extrayons le passage suivant du cours de géographie que Ton fait apprendre de mémoire à tous les enfants, dans ce que nous appellerions les écoles pri- maires. Nous Iraduisons avec le plus grand soin : « La France est l'une des cinq grandes puissances de l'Europe. Autrefois il n'en était pas ainsi. Lorsque les trois petits-ûls du grand roi des Franks et empereur Charles, mort en 814^ se partagèrent son héritage, la France proprement dite était, à l'ouest de la Saône et du Rhône, un impuissant état, et demeura ainsi pendant tout le Moyen-Age. Lyon et Marseille étaient alors des villes allemandes. Pour Metz et pour Strasbourg, cela s'entend de soi. Mais, dans les temps modernes, la France eut de grands rois, comme Henri IV, mort en 1610, et Louis XIV, mort en 1715, et de grands ministres comme Richelieu, mort en 1642. Ils ont élevé la France; et nous ont pris.à nous. Allemands, qui étions si puissants au Moyen-Age, tout ce qui maintenant, à l'Est du côté de la France, est compris dans nos limites naturelles. > Peut-être pourrait-on n'en pas croire ses yeux, voici le texte allemand : c Frankreich gehort zudenfûnfGrosmâchtenvon Europa.Sonst — 70 — Rien n'est plus facile, après celte explication, que de ré- pondre à la question posée plus haut. Puisque les Assises furent tirées des coutumes du Nord, et que celles-ci s'étaient perpétuées depuis Torigine sous une forme orale, nul plus que Godefroi ne dut contribuer à en former la rédaction. Il avait vu la plupart de ces prescriptions observées par son père Eustache-aux-Grenons, comte de Boulogne (1); il les avait fait observer lui-même pendant près de vingt ans, d'abord comme seigneur de Bouillon, et ensuite comme duc de Lorraine. Sa tendre et intelligente mère, la comtesse war das nicht so. Âls die drei Enkel des grossen Frankenkônigs und Kaizers Karl, gestorben 814, seine Erbschaft theilten, war das eigentUche Frankreich im Westen der Saône and Rhône ein unmâchtiger Slaat; undblieb es durchdas ganze Mittelalter. Lyon und Marseille waren damais deutsche Stadte ; von Metz und Strasbarg versteht sich das von selbst. Aber in der neueren Xeit bat Frankreich grosse Kônige gehabt, wie Heinrrich IV, ges- torben 1610, und LudwigXIV, gestorben 1715, und grosse Minister, wie Richelieu, gestorben 1642. Die haben Frankreich in die Hôhe gebracht, und uns Deatschen, die wir im Mittelalter so mâchtig warenalies das abgenommen, was jelst im Osten iiber Frankreichs • nalûriiche Ostgrenze hinausliegt. » Leilfaden fur den Unterricht in der Géographie^ von prof. Dr. Daniel, Halle, 1872, p. 116. Très répandu longtemps avant la guerre de 1870-1871, ce livre a eu depuis 78 éditions. Voilà ce que les Allemands enseignent à des enfants. Ou ils ignorent quHls tombent dans de si grossières erreurs, et alors où est la prétendue science allemande, surtout en géographie et en histoire ? Ou ils le savent, et alors où est leur honnêteté ? Que les honnêtes gens voient et jugent. Cf. la brochure de M. Mommsen sur l'Alsace. (1) Lambert d'Ardres, chronique, ch. ex et cxxii. — Augustin Thierry, Histoire de la conquête de V Angleterre par les Normands, t. 111. — 71 — Ida, qui voulait faire de lui un chef princeps (1), avait même dû ies lui faire apprendre de mémoire dans son en- fance, ce qu'on faisait pour toutes ces législations primitives qui se conservaient sous une forme orale, et dont les vieilles enquêtes par turbes furent encore longtemps après des images effacées. Quelquefois même ces législations prinli- tives étaient chantées. Le fils d'Ida connaissait tout ce que ces lois pouvaient offrir de vivace ou de défectueux. Se trou- vant ainsi dans des conditions plus favorables que les autres, comment un homme si intelligent, si juste et de tant d'expérience n'aurait-il pas eu la part principale dans la rédaction de cette coutume qu'on a appelée les Assises de Jérnsaleml Voilà le fait historique dont la légende s'est emparée pour faire de lui l'auteur presque unique de ces Assises. XXVI. — Si le premier caractère des Assises est cet es- prit d'indépendance qui vient de leur origine, le second leur vient du christianisme qui s'y répand dans toutes les mai- tresses-parties de l'œuvre, pour les animer et les adoucir. Quand les Assises ordonnent au riche de soutenir le pauvre, au fort de défendre surtout le faible, « le méhaigne (ma- lade), » la veuve, l'enfant et le vieillard; quand, avec Godefroi, elles regardent comme un préjugé le duel judi- ciaire, et môme quand elles préfèrent la coutume librement acceptée à la loi imposée par un homme, qui ne se sent en présence d'un principe surhumain, nouveau? Elles viennent de « raison et justice », dit le législateur de Jérusalem, et la justice vient de l'Evangile. « De Dieu vient justice, écrit Jean d'Ibelin, de Dieu sens et soutil engin pour conseiller loyaument poures et riches... pour déloyer et blâmer pouve- (1) Vie de sainte Ide, comtesse de Boulogne, Acta sanctorum, 13 avril. — 72 — ment et souvent le fort (1). » Après cette protestation contre le droit du plus fort, ce n'est pas seulement dans le cœur, c'est aussi dans l'intelligence et par l'instruction que cet esprit chrétien veut mettre la lumière. « OQiert moult, dit encore le législateur, que les riches homes apregnent lettres pour mieux ouvrer quoique Ton peu de bien; et qui plus en saura mieux en vaudra.... Et céaus qui ne ont pooir ne volonté, ne loisir de demourer longuement en escole doivent aprendre au moins que ils sachent lire et es- crire (2) . » Qui se serait attendu aujourd'hui à trouver dans une législation dictée il y a sept cents ans par des gentilshommes la nécessité d'être instruit, et particulièrement de savoir lire et écrire pour bien « ouvrer », c'est-à-dire pour faire le bien ; et l'instruction conduisant à l'honnêteté, « et qui plus en saura meaux en vaudra? » On lit enûn : « Le seignor doit veiller jour et nuit au comum profit de ses homes et tous enci doivent amer lorseignor... et aider le à maintenir sa seignorie, car il n*est pas un seul home entre eaux, si ne pourrait rien faire sinon pas eaus (3). » Seigneurs et vassaux étaient donc unis à titre d'hommes par une sorte d'égalité fra- ternelle, ce qui nous amène au troisième caractère des Assises^ c'est-à-dire à la réciprocité de loyauté qui devait unir 1^ seigneur et ses vassaux. XXVII. — Des deux côtés, en effet, le devoir était le même. Seigneur ou vassal, celui qui déchirait ce contrat mutuel était coupable du même crime, le crime de foi rnentie Si le vassal devait le service personnel à son seigneur, s'il devait exposer sa vie pour sauver celle de son seigneur, comme au- (1) Mss. de Venise, I, La Thaumas., ch. cclxxv. (2) Ibid. (3) Ihid. — 73 — trefois dans les 50 Wwrie5 gauloises (l), celui-ci, et c'est en cela que la notion de la justice avait fait des progrès depuis les temps celtiques^ devait à son tour défendre en tout son vassal. L'égalité morale était absolue et le lien réciproque. Mais écoutons les Assises^ dont le texte n'a peut-être jamais été si formel. « Autant le seignor est tenu à son home, comme le home à son seignor, fors que seulement en révé- rence (2). » Les formes diffèrent, le droit est le même ; si le vassal manque de fidélité à son seigneur, il ment sa foi, et si le seigneur manque à la protection qu'il doit à son vassal, il ment aussi sa foi. Le crime de foi mentie était le crime so- cial dans le monde féodal. Aussitôt tout engagement était rompu, tout lien était brisé, non-seulement entre les, per-, sonnes, dans leurs rapports mutuels, mais pour la possession des biens. Le fief cessait d'appartenir au seigneur, s'il avait manqué à son vassal, et d'être la possgssion du vassal, s'il avait manqué à son seigneur. Le crime de déloyauté frappait, comme un trait, la conscience elle-même, ce qui faisait de la loi une religion. a Moult doit chacun expurgier et nettoier sa conscience, et bien garder que par lui la foi ne soit ne blessée ne empi- rée... Si nul ment sa foi l'un à l'autre, celui à qui on la ment est quitte de la foi qu'il doit à celui qui li a sa foi mentie, et celui qui la ment n'est mie quitte (3) ; » dernier trait, le plus profond parce qu'il est le plus juste, et qu'il descend jus- qu'au fond de la nature humaine, malgré les préjugés de cette époque. Nous voici en présence de ce qu'il y a de plus grand (1) Cœsaris Commeniar, De Bello Gallico, 1. III, ch. xni. (2) Mss. de Venise, I, La Thaumas.^ ch. xcix. (3) Ihid. — 74 — et de plus profond dans Tesprit féodal, et tous les grands feudistes français sont unanimes à ce sujet. « Le seigneur, dit notre immortel Cujas, dont nous traduisons scrupi\leuse- ment les mots, le seigneur doit en tout payer de retour son Qdèle; et s'il ne le fait pas, Usera justement regardé comme coupable. Les mêmes raisons qui font perdre au vassal son fief, enlèvent aussi au seigneur toute propriété et toute puis- sance (1).» Le crime de foimentie ne pouvait être jugé que par les pairs. Bien plus, les principes chrétiens entraînant tout à coup la loi du côté du plus faible, ;elle déclarait que si le seigneur accusait injustement son vassal de foi mentie, c'était lui-même, et par ce seul fait, qui était coupable de foi mentie. Telles étaient la réciprocité et Tégalité des droits et des devoirs. Le droit reposait sur la loyauté de chacun des deux engagés, et celle-ci venait de sa conscience. C'était donc une vertu, et qiii portait le plus beau nom peut-être qui ait été donné à la vertu, c'était l'honneur. De cette indé- pendance individuelle, de cette fraternité chrétienne et de cette réciprocité do droits et de devoirs entre le seigneur et le vassal naissait le citoyen tel qu'on le comprenait dans l'idéal féodal, tel qu'aspiraient à le former les Lettres du Sépulcre, quand il paraissait l'épée au côté, le chevalier. XXVIIL — Quand la rédaction des Assises fut achevée, elle fut copiée en lettres gothiques 'majuscules. Les deux chartes furenl divisées par ordre de matières, et les rubriques écrites en lettres d'or (2). La transcription ne dut pas en être longue ; Godefroi avait avec lui un certain nombre de clercs qui l'avaient accompagné à la croisade et qui formaient sa (1) Cujacius, de Feud. L. II, tit. 166, éd. de Modèûe, 1782. (2) Mss. de Venise, I, p. 2, v. — 75 — chapelle (i). On renferma ensuite les deux chartes dans un coffret qui fut porté avec solennité et placé derrière le Sé- pulcre. On ne pouvait les consulter que dan's les cas dou- teux et en présence du duc, du patriarche et de deux sei- gneurs, pour la charte des barons, et du vicomte et de deux bourgeois-jurés pour celle des bourgeois. Ces précautions ont étonné les critiques, au point que les uns les ont révo- quées en doute, et les autres sont allés jusqu'à nier à peu près Texistence des Assises. A quoi bon, se sont-ils demandé, composer une constitution pour la dérober ensuite à tous les yeux? C'est que les Assises étaient une coutume et non une législation dans le genre de celles des Romains ou des Capitulaires. Que le peuple romain, après avoir conquis de haute main, et au'prix de quels efforts, sa loi des Douze^ Tables, Tait fait écrire sur une colonne tournante et à douze faces, au milieu du Forum, on le conçoit, la plèbe et ses tribuns ne voulant pas que les patriciens jaloux et adroits pussent revenir sur cette grande conquête politique? Mais les Assises étaient une coutume venue des ancêtres,' et, comme elles le disent, des saints Pères, librement délibérée par eux à l'origine, librement acceptée par leurs descendants, qui pouvait être amendée, qui le fut en effet, et qui devait rester encore à l'état de loi vivante, à l'état oral (2). On continua le plus souvent à juger par la tradition, après, comme on jugeait auparavant ; et voilà pourquoi Guillaume de Tyr ne men- tionne les Assises que sous le nom de droit coutumier. S'il en fut autrement pour nos coutumes françaises, qui toutes (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, 1. VI. — Mss. de Venise, p. 2. (2) Voyez à 1 Appendice: Coup des bourgeois, art. VI, Tobliga- tion pour le vicomte de veiller sans cesse au perfectionnement des Assises. — 76 — avaient eu aussi leur époque orale et primitive, c'est qu'au moment où la plupart furent rédigées, la forme romaine avait prévalu. Toutefois, si au quatorzième siècle, lorsqu'on fit à Chypre une nouvelle rédaction des Assises^ on les porta derrière le maître-autel de la cathédrale de Nicosie, ce fut beaucoup en souvenir de ce qui avait élé fait sous Godefroi. On leur conservait ainsi cette sanction auguste, ce caractère religieux dont le législateur de Jérusalem avait voulu les en- tourer comme d'un divin prestige. EnQn si chaque magistrat à son gré pouvait s'en faire une rédaction, ce qui explique la différence des versions que nous en avons, c'était en géné- ral une législation rédigée par des seigneurs. Or, les nobles ont toujours et partout préféré la forme orale, parce qu'ainsi, dit Vico, les privilèges de leur caste semblent moins choquants, et parce qu'ils peuvent mieux conserver aussi leurs règles de juges et leurs secrets de jurisconsultes inté- ressés. L'art des jugements est alors un privilège de leur caste. On se rappelle le mot célèbre de Raoul de Tibériade. Les Assises se transformèrent dans le sens monarchique et anti-féodal jusqu'à la prise de Jérusalem. Alors les deux chartes ne furent pas brûlées, comme on Ta dit; car l'église du Sépulcre resta intacte. Elle fut vendue moyennant une forte somme d'argent aux Syriens par Salah-Eddin, qui se présentait comme le libérateur des anciens habitants du pays (1). Ce furent donc les Syriens qui mirent la main sur les deux précieux manuscrits, monuments de leur défaite et de leur assujettissement aux Franks devenus odieux à leurs yeux. « Tout fut perdu, » disent seulement les plus anciens auteurs, qui n'eussent pas manqué, si les Sarrazins les 1) Mss. de Venise, p. 174, v. — 77 — avaient brûlées, de mentionner cette circonstance. Et qui sait les découvertes que l'avenir réserve à la science dans cet Orient où Ton retrouve chaque jour des témoignages certains sur des peuples dont on ignorait quelquefois jusqu'au nom, ' sur des siècles reculés et dont on croyait le souvenir pour jamais évanoui (1)? (1) Nous ne pouvons nous empêcher de mentionner ici, comme exemple, la découverte de la stèle de Dhiban ou stèle de Mesa. roi de Moab; 896 ans avant Jésus-Christ, par un jeune savant fran- çais, M. Ch. Clermont-Ganneau. Librairie académique Didier et C". Voir aussi Revue politique et littéraire, année 1872, p. 602. La plupart des chefs-d'œuvre de l'antiquité classique que Ton croit perdus en Europe doivent se retrouver dans certaines bibliothèques de rOrient qui n'ont jamais été explorées. 78 — III SOMMAIRE. Ce qui manqua aux Assises. — Elles arrêlèreut pour un temps la corruption des mœurs, décadence qui amena la chute de Jérusalem. — Plan général de Godefroi sur lorganisation poli- tique des colonies chrétiennes en Orient. — Mort de Godefroi d« Bouillon. I. — Et maintenant, que manqua-t-il à ces Lettres du Sépulcre? Un chef comme Godefroi pour les faire observer et en conserver sévèrement l'esprit. Elles seules pouvaient, en maintenant Tunion entre les croisés, en conservant, en retrempant la vigueur de leur caractère, créer pour leurs des- cendants un Etat qui fût pour eux une patrie, qui s'enracinât dans le sol asiatique, et qui subsislùt, vivante création chré- tienne, jusqu'au moment inévitable où s'écroulerait, comme on le vit en Egypte, en Syrie, en Arabie, tout état fondé sur le Coran. Héioïque sur un champ de bataille, Baudouin 1% une fois assis sur un trône (1101-1 1 18), ne sut qu'irriter le vaillant mais irascible Tancrède, l'impétueux et ambitieux Bohé- mond. Les fronts de tous ces chevaliers aspirèrent à une couronne quand ils virent l'un d'entre eux ceindre la sienne (1), et les relations des rois avec le patriarche de- vinrent des conflits beaucoup plus dangereux qu'ils ne l'étaient du temps de Godefroi. En second lieu, dès le temps de Baudouin II, dit BaudouinduDourg (1118-1131), neveude Godefroi, la corruption devint si grande que nous nous refu- (1) Historiens des Croisades, Guillaume de Tyr, T. II, p. 365. — 79 — sons à traduire ici les textes des lois répugnantes édictées contre les vices des Poulains ^ c'est le nom qu'on donna à la seconde génération, aux fils des premiers croisés (1). Le fléau s'étendit encore sous le règne de Foulques d'Anjou, gendre de Baudouin II (1131-1144), à la cour duquel dominait la reine, cette belle Mélisende, fille de Baudouin du Bourg, avec ses intrigues galantes, en attendant Eléonore d'Aquitaine, le bataillon volant, la dame aux jambes d'or, et toute cette pourriture' élégante de la cour d'Antioche, lorsque sous Baudoin III (1144-1162) eut lieu la deuxième croisade, où Ton essaya vainement de reprendre Edesse tombée entre les mains de Noureddln, Bientôt la lèpre morale se propagea parmi les ordres religieux restés purs et austères jusque-là, cbez les Hospitaliers et chez les Templiers (2), sous Amaury (1162-1175) et Baudoin IV, celui-ci flls, celui-là frère de Baudoin III. On ne chercha plus qu'à satisfaire des passions, sa soif de l'or; son ambition. Bien loin de s'unir ensemble contre l'ennemi commun, les défenseurs de Jérusalem -com- battaient les uns centre les autres, s'alliaient même aux émirs SeldjoucidesouFatimites contre leurs ennemis person- nels, appelant ainsi eux-mêmes, et dans leur fureur, les Mu- sulmans que leurs pères étalent venus repousser, et aux foyers desquels ils étaient à peine assis. Dès lors les jours du royaume de Jérusalem étaient, comptés, et l'on pouvait prédire hardiment, surtout après la prise d'Edesse, l'appa- rition d^un Salah-Eddin, qui chasserait devant lui, comme (1) Guillaume de Tyr, XII, xm. — Baronius, ad an, 1120. (2) Jacques de Yitri, le géographe des croisades. Voyez, dans l'Appendice, dps fragments d'une géographie inédite de la Palestine par Frétel, qui la visita quelques années après la mort de Godefroi. — 80 — poussière, ces prétendus soldats du Saint-Sépulcre, bien moins chrétiens que des Musulmans mêmes, des Kaled, des Omar, des Ali, au temps de leur simplicité, et même des Nour- Eddin, des Malek-Adel et des Salah-Eddin. Et si le désir de reprendre un pays qu'ils possédaient depuis des siècles, de rendre tant d'outrages reçus, tant de sang versé, n'avait pu donner le jour à ce vengeur, il eût suffi des vices des vain- queurs pour le faire surgir des sables du désert. Il faut en- tendre Jacques de Vitri, un prêtre cependant et qui avait visité la Palestine, parler des vices des chrétiens, des princes d'abord, et par suite des simples citoyens, et surtout de la conduite du clergé de Jérusalem (1). Dans ce temps, on vit Héraclius lui-même, le patriarche de Jérusalem, entretenir publiquement des courtisanes, et la plus éhontée d'entre elles, la trop fameuse Pâque de Rivery, étaler, auprès du Saint- Sépulcre, et à côté du plus pur des autels, un luxe et des parures achetées, au moyen de l'or déposé pour l'entretien des pauvres et des pèlerins de Jérusalem. C'est alors que l'abomination de la désolation régna dans le Temple, bien plus vraiment que lorsque Salah-Eddin y entra. Alors la cité de David fut pleine de cris, de gémissements et de prières; mais, dit un chroniqueur de ce temps, « nostre sire Jésus- Christ ne les volait ouir, car la luxure et l'impureté qui en la ciste étaient ne laissaient monter oraison ne prière devant Dieu (2). » C'est ainsi que les peuples dégénèrent et se perdent. Pour être grands, il faut qu'ils soient purs. Guy de Lusignan, le dernier roi de Jérusalem était si méprisé qu'il (1) Jacques de Vitri, Voyez particulièrement les eh. : De cor- rupiione prœlatorum; de regularibus irregulariter viventihus; de eorruptione Terrœ Sdinctœ. (2] Pautre, histoire manascrite des Ëtats de Syrie. — si- ne fut pas même appelé à mettre sa signature au bas du traité où Ton stipula, en 1187, la reddition de la ville sainte entre les mains des infidèles ; plus dédaigné encore peut-être lorsque Salah-Eddin lui rendit la liberté, de peur que les croisés ne prissent un roi moins incapable que lui, ou lorsqu'on le vit, devenu roi de Chypre à prix d'or, ne pas chercher à reconquérir Jérusalem, à la mort de Salah-Eddin et au milieu du démembrement général de son empire. A embrasser ces événements d'un coup d'œil, on peut dire que, dès la fin du règne de Baudouin II, les Franks, toujours braves sur les champs de bataille, mais divisés entre eux et dépour- vus de fortes vertus, n'étaient que campés sur les bords du Jourdain, et Ton s'étonnera non pas qu'ils en aient été chassés, mais qu'ils ne l'aient pas été plus tôt. Les souve- nirs de la première croisade les protégèrent longtemps, en les enveloppant comme d'un prestige. A la fin, ce pres- tige s'évanouit, au point que l'étonnement des Musulmans de ne trouver devant eux que de pareils hommes au lieu des colosses des premiers temps, fut pour beaucoup dans leur victoire (I). M. Michaud écrit, en parlant des chefs des croi- sades suivantes : « Ils commirent les mêmes fautes que Go- defroi et ses compagnons; ils négligèrent, comme ceux qui les avaient devancés, de fonder une colonie dans l'Asie- Mineure et de s'emparer des villes qui pouvaient protéger la marche des pèlerins dans la Syrie (2). » Nous regrettons de ne pouvoir partager l'avis de l'illustre historien des croisades. Il ne l'aurait certainement pas émis, s'il avait fait plus d'at- tention aux côtés géographiques et politiques de ce sujet et serré de plus près des textes abondants et clairs. On a vu (1) Guillaume de Tyr, X. (2) Histoire des Croisades, t. 11, p. 194. — sa- que le plan de Godefroi était parfaitement arrêté, qu'il avait créé non pas une colonie, mais trois colonies au nord, pa- reilles à trois postes avancés pour arrêter les émirs turcs, Antioche avec Bohémond, Edesse avec Baudouin, et Tibériade avec Tancrède (1). Pour être maître de la route de Test, il fallait Damas, clef .le la situation de ce côté. Or, Godefroi, pour préparer la conquête de cette place, avait battu et forcé à un tribut un émir désigné par les chrétiens sous le nom de Gros Paysan et qui était soumis àDekak,sultande Damas (2). Godefroi était si bien maître de la frontière de TËst qu'il la franchissait, soit du côté de Rabbath-Galaad, soit du côté de Rabbath-Moab, pour enlever aux Arabes errants leurs cam- pements, leurs richesses, leurs grands troupeaux (3). Afin d'être sûr de celle du sud, il avait donné à un autre de ses compagnons d'armes, l'héroïque Gérard d'Avesnes, le château de Saint-Abraham avec d'opulentes et vastes dépendances, place qui commandait le désert du sud jusqu'à la vallée d'Arlon et aux plaines sablonneuses de l'Idumée (4), en at- tendant qu'il s'emparât du vieux Caire ou Babylone ; car il voulait attaquer hardiment jusque dans leur capitale, dans leur plus redoutable boulevard, la puissance des sultans fa- timites (5). Il voulait aussi, le fait n'est pas moins sûr (6), (1) Guillî^ume de Tyr, liv. IX. (2) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VIL M. Michaud a confondu cet émir, Gros-Paysan ou Gros-Rustique, avec le sultan de Damas ce qui serait encore plus contraire à son aÛirmation, puisqu'alors Godefroi aurait possédé Damas. Voyez M. Michaud, Histoire des Croisades, t. Il, p. 449. (3) Ibid., liv. VII, et Guillaume de Tyr, liv. IX, (4) Ibid, liv. VII. (5) Guillaume de Tyr, liv. X, Historiens des Croisades, t. 1. (6) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VII. — 83 — s'emparer de toutes les villes qui bordaient le rivage médi- terranéen. Déjà il avait pris Arsur (1) et Jaffa, la plus im- portante d'entre elles, qu'il avait fait aussitôt fortiQer, et d'où il menaçait toutes les autres (2). En attendant, il avait habile- ment conclu des traités avec les émirs d'Âscalon, de Césa- rée> d'Acre^ à la suite desquels il pouvait se porter librement vers le Liban et donner la main non-seulement à Tancrède etàBohémond, mais à l'empereur d'Orient (3). Jamais il n'aurait permis à Bohémond de quitter son dangereux, mais glorieux poste pour aller dans toutes les cours de l'Europe^ heureux aventurier, chercher une femme, et représenter Alexis comme le plus perfide ennemi des chrétiens, précisé- ment parce que c'était vrai. Plus habile politique, Godefroi avait su au contraire se faire aimer d'Alexis, qui' l'appelait son fils et même qui l'avait adopté comme tel (4). Voilà comment il voulait former cette suite de colonies chrétiennes, dont il avait déjà su faire une confédération unie à l'empire grec. Cet empire eût pu avoir un immense et splendide ave- nir, renouvelé, rajeuni par les émigrations frankes, non dans un esprit de conquête, comme au temps de la quatrième croisade, mais par une transformation pacifique. Il n'eût pas été forcé de s'ouvrir aux bandes non pas des Seld- joucides, Godefroi les avait repoussées pour la plupart, mais à des hordes d'Osmanlis qui n'ont jamais pu se fondre ajrec les Européens, et qui, encore aujourd'hui, régnent, infime minorité d'un million et demi d'habitants, sur une population hellénique de quatorze millions d'habi- (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, éd. Bongars, liv. VII, p. 296. (2) Ibid, p. 297. (3) Ibid, p. 298. (4) Ibid, liv. II, p. 197. — 84 — taûts, qu'elle atrophie depuis des siècles. C'est ainsi que les passions des hommes arrêtent longtemps les décrets de la Providence. Au reste, rien ne faisait prévoir les désastres qui allaient suivre. Godefroi était partout aimé ou redouté; il avait alors environ quarante-cinq ans; il était dans toute la vigueur de sa robuste constitution ; et tout donnait à espérer qu'après avoir ainsi organisé sa conquête, il saurait lui donner cette autre force qui vient de la durée. II. — Vers le milieu du mois de juin de rannéellOl, il revenait avec son armée de cette expédition dans le nord où il avait réussi à s'emparer d'une partie du territoire de Damas. Il voulut s'en revenir à Jérusalem en passant par les villes qui bordent la Méditerranée, Acre, Caïpha, Césarée, JafTa (1). Déjà, laissant à sa droite les hautes cimes de l'Anti- Liban et du Liban, il avait repassé tranquillement cette chaîne de montagnes plus accessibles qui s'en détache au- dessous du Carmel, près delà petite plaine d'Esdrelon, et court du nord au sud, partageant en deux régions la Pales- tine, s'abaisser et se fondre dans les déserts de Bergarbée et d'Engaddi, au-delà de la mer Morte. Iles villes du littoral étaient encore nominalement soumises aux émirs du kalife d'Egypte. Mais ces émirs savaient que Godefroi devait en faire la conquête; et déjà môme il les avait astreints à un tribut considérable qu'ils payaient en frémissant ou en donnant au vainqueur des témoignages d'une obséquieuse et perQde amitié (2); surtout après cette expédition contre Dekak, sultan de Damas, et depuis que JafTa, mis en état de défense menaçait toutes les autres villes. Que Godefroi yécût encore un an, et c'en était fait d'abord de leur puissance et (1) Albert d'Aix-la-Chapellti, éd. Bongars, liv. VII. p. 299. (2) Ibid, liv. VII, p. 300. " — 85 — même de Tempire des kalifes au-delà de Tldumée. Godefroi se méfiait de ces émirs, mais il se croyait forcé par poli* tique de se rapprocher d'eux quelquefois, et il n'avait plus qu'une ville à traverser, Césaréc, où il pût courir quelque r danger. Quand il arriva avec ses chevaliers au milieu de la forêt de vergers et d'arbres fruitiers qui entouraient au loin .la ville, l'émir, vieux musulman fanatique (1), et qui lui payait un tribut de cinq mille byzantins par mois (2), vint au- devant de lui, avec une escorte, comme pour le féliciter de sa victoire. Il lui offrit un repas somptueux pour lui et ses che- valiers. Godefroi s'excusa avec courtoisie; mais, sur les ins- tances'réitérées de l'émir, il acceota seulement une très-belle pomme de cèdre (3). Dès qu'il en eut mangé, il se trouva in- disposé, non sans un soupçon d'empoisonnement pour ceux qui l'intouraient et qui lui prodiguèrent des soins aussitôt. Mais, vains efforts^ le malade s'affaiblissait sensiblement. II longeait lentement le rivage de la mer entre ses compa- gnons d'armes consternés, au milieu de ces sables brûlants, de Césarée à Caïpha, qu'il avait tant de fois parcourus en vainqueur. Il parvint enfin à une maison qu'il avait à Jaffa et où il se coucha. Il perdait toute chaleur vitale. Des servi- teurs et des chevaliers de sa maison réchauffaient contre leur cœur la tête et les pieds de leur maître, pendant que des larmes leur roulaient dans les yeux, et que des gémissements étouffés éclataient par instants dans les chambres voisines. (1) Voyez sur le fanatisme de cet émir l'étrange lettre que rémir d'Acre lui écrivait Tannée précédente, et dans laquelle il nommait les Croisés une race de chiens^ en ajoutant qu'il devait, lui, émir de Césarée, chercher à leur faire beaucoup de mal, s^il aimait la Loi. Raimond d'Agiles, Historiens des Croisades, C. III, p. 23. (2) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VII, p. 300. (3) Ibid., liv. VU, p. 301. - Orderic Vital, Histor. Eccles. — 86 — Un morne silence régnait dans Jaiïa. Godefroi avait vu en y entrant une foule de Vénitiens qui venaient d'abor- der en Terre-Sainte et dont les vaisseaux stationnaient dans les eaux de Jafîa. Les Vénitiens, se sentant en nombre, bien armés, et commandés par leur propre évoque et duc, jeune aventurier entreprenant, arrivaient avec l'intention de se charger de quelque importante entreprise. Une députation de ces nouveaux soldats du Christ, leur évoque en tête, se présenta dans la maison du malade, lui Ot connaître ses intentions et se mit à ses ordres, en lui offrant des présents considérables, des vases d'or et d'argent, de la pourpre et des vêtements précieux. Godefroi leur parla avec bonté et les chargea de remercier leurs compagnons de fortune restés au port : « Retournez à votre bord, ajouta- t-il, mon mal me retient encore aujourd'hui. Demain, si j'éprouve un peu de soulagement, j'irai certainement me présenter devant vos compatriotes qui veulent me voir, désirant moi-même le plaisir de m'entretenir avec eux (1). » Il parlait ainsi, soit qu'il se fit illusion sur son état, soit plutôt qu'il craignit de laisser s'abattre le courage des nouveaux arrivés et de perdre le moment. Mais la nuit suivante fut très-mauvaise ; et les douleurs devinrent si aiguës qu'il dit à ses chevaliers de le transporter à Jérusalem. Sans doute il voulait mourir auprès du Saint-Sépulcre; mais comme il cachait à dessein toute crainte, il dit qu'il^ voulait éviter le mouvement extraordi- naire et le bruit qu'allaient faire l'armée et les Vénitiens, puisque aussi bien il ne pouvait pas se mettre lui-même à leur tête, pour entreprendre la nouvelle expédition. On partit le lendemain; le malade était porté dans une litière. De Jaffa à Jérusalem il y a sept grandes lieues.En sortant par (1) Albert d'Aix-la-Chapelle « liv. VII, p. 301. ~ 87 — la porte de Test on s'avance entre deux haies de nopals touffus et de gigantesques sycomores. La campagne est cou- verte des plus beaux arbres^ citronniers, grenadiers, figuiers, orangers, qui en font une sorte d'Ëden. Mais au-delà de Ra- mêlé on s'engage dans des montagnes sauvages et arides bor- dées de rochers et de précipices, et où règne dans cette saison de Tété une chaleur étouffante. Les porleurs et l'es- corte montaient toujours dans des sentiers raboteux à peine frayés, dans des gorges resserrées, et faisaient rouler les cail- loux sous leurs pieds. Le malade se trouva si fatigué une fois à la Tour de David, que, le jour suivant, le bruit, heureuse- ment démenti, se répandit jusqu'à Jaffa, qu'il était mort en y arrivant (1).  ces tristes nouvelles, Tancrède avait à la hâte quitté sa forteresse de Tibériade, et il était arrivé à Jaffa quand le duc venait d'en sortir. Les Vénitiens, toujours impatients d'agir, le chargèrent, ainsi que Garnier de Gray, ami intime et parent du duc, de demander à celui-ci l'autorisation de com- mencer une entreprise en attendant le rétablissement de sa santé, pour combattre sous lui, comme il le leur avait fait es- pérer. Les deux chevaliers furent admis seuls auprès du duc. Quand il eut appris l'objet de leur demande, il voulut, quoi- que bien affaibli, réunir daas sa chambre le conseil des prin- cipaux chefs. Il y fut convenu que les croisés, avec le ren- fort des Vénitiens, continuant le plan général de la con- quête tracé par Godefroi, iraient assiéger la ville de Caïpha, peuplée de Juifs et de Musulmans, et située sur le bord de la mer entre Césarée et Acre; et que, tandis que les Vénitiens avec leur flottille la cerneraient du côté de la mer, Tancrède, comme lieutenant du duc, battrait la muraille du côté de (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, l. VII, p. 302. - 88- ' TEst. Godefroi ajouta que lorsque Caïpha serait prise, elle serait donnée en fief à Guillaume le Charpentier, autre ami de Godefroi, et qui n'avait encore rien reçu en partage, bien que cet intrépide chevalier eût rendu les plus grands services depuis le commencement deTexpédilion. Tancrède acquiesça à cette légitime concession. Cependant la maladie s'aggravait de jour en jour, et Gode- froi sentit bientôt que tout était fini pour lui. Ses principaux compagnons d'armes, qui l'aimaient tous autant qu'ils le respectaient, venaient le visiter chaque jour ; quelques-uns en sortaient aussitôt, ne pouvant maîtriser l'explosion de leur douleur. Il voulut encore leur parler. D'une voix alTaibUe il essayait encore de les consoler, en leur disant qu'il pourrait se guérir, soit qu'il ne crût pas à un empoisonnement, soit qu'en y croyant, ce guerrier au caractère de fer espérât que sa vigoureuse constitution le sauverait. Un jour cependant, se sentant plus mal, il retint autour de sa couche les principaux chefs, entre autres Tancrède, Arnoul et Daïmbert, et il leur dit, suivant un chroniqueur, dont il ne faut prendre ici que la pensée (1) : « Voilà que j'entre dans la voie de toute chair, mais pendant que je vis encore, délibérez entre vous pour savoir celui qui doit gouverner à ma place. » — Nous laissons cela à ta prévoyance, répondirent-ils, et à celui que tu choisiras, certain^ent nous obéirons. — Si vous vous (1) Nous trouvons ces détails dans le Belli sacri historiat que Mabillon a retrouvés dans la bibliothèque du Mont-Cassin, et qu'il a publiés dans son Iter italicumy t. Il, p. 131. Le savant béné- dictin en faisait très-grand cas ; mais si l'on veut le rapprocher de la chronique de Raoul de Caen, on verra qu'il en est le plus souvent une reproduction textuelle : Cf. Gesta Tancredi in ex- peditione hierosolymitana, auctore Radolpho cadomensit Histo- riens des Croisades, t. III. — 89 — arrêtez à mes dispositions particulières, je pense qu'il fau^ drait élever à cette grande fonction mon frère Baudouin. Les assistants, en entendant lenom de Baudouin, louèrent àTenvi ce choix, donnèrent leur consentement, et jurèrent de lui obéir. Mais le patriarche Daïmbert ne faisait alors que dissi- muler ses propres seutiments, car il songeait à faire venir Bohémond qu'il croyait à Antioche pour obtenir de lui, en le sacrant roi, qu'il se déclarât entièrement son vassal et le comblât de richesses. Tancrède lui-même, aussi jaloux que le patriarche était avide, était livré à une pensée indigne d'un chevalier en songeant à s'emparer de la royauté, soit pour lui-même, soit pour son oncle Bohémond (1), et à prendre Caïpha pour son compte, malgré sa promesse. Car à la prise de cette ville, l'ambitieux et peu loyal chevalier tomba sur les troupes de Guillstume le Charpentier qui ne possédait aucun fief, tandis que lui, Tancrède, avait reçu, le premier, du chef seigneur de Jérusalem, la plus fertile prin- cipauté de la Palestine. La prise de Caïpha, dont Godefroi avait donné les dispo- sitions, fut pour lui un nouveau laurier ; ce devait être aussi le dernier. Il avait de jour en jour perdu toutes ses forces. Au bout de cinq semaines de maladie l'œuvre de consomption était achevée. Godefroi fit la confession de ses fautes en ver- sant beaucoup de larmes ; il reçut le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, dont il avait relevé l'autel et recon- quis le sépulcre; et il expira le 19 juillet 1101. A cette nou- velle des cris et des sanglots éclatèrent dans la ville sainte. Non - seulement les Chrétiens, Franks, Italiens, Teutons, non-seulement les Grecs et les Syriens, qu'il avait toujours protégés, mais les Arabes, les Turks qu'on avait laissés (1) Albert d'Aix-la-Chapelle, liv. VII, p. 300. — 90 — dans la ville sentirent la perte qu'ils venaient de faire. Tous restaient frappés de stupeur en voyant cette grande destinée tout à coup interrompue. Les funérailles durèrent cinq jours. On l'enterra au pied du Calvaire, au Golgotha, qui était alors en dehors de l'église du Saint-Sépulcre. Son ami Garnier de Gray, tombé malade les jours précédents, mou- rut de douleur cinq jours après. La plus grande confusion régnait dans la ville. On connaissait l'ambition des autres chefs, chevaliers ou membres du clergé. Celui qui pouvait les maintenir tous par son énergie et par son désintéressement ve- nait de disparaître. On ne savait ce qui allait arriver, au milieu des luttes qu'on prévoyait, dans une contrée où Ton était en- touré d'ennemis et si loin de la France. Et soit dans Jérusa- lem, soit dans le pays environnant, chacun était livré à ses inquiétudes, à ses craintes, à sa douleur et à ses regrets (1). III. —C'est ainsi queGodefroide Bouillon fut enlevé dans la force de l'âge et au milieu de son œuvre. Mais, à la prendre dans son ensemble, on a pu voir qu'il en avait exécuté les principales parties. Au moment où il parut en Asie, deux grandes invasions menaçaient l'Europe. La première était une nouvelle invasion de la race touranienne, celle des Turks Seldjoucides, venue de Turkestan, et dont l'avant-garde, après avoir laissé des hordes échelonnées de montagne en mon- tagne, campait déjà, maîtresse de l'AnatoIie, sur les rives du Bosphore, effrayant l'empereur deConstantinOple. La seconde, de race Sémito-Couchile, était celle des Arabes Patimites, qui, reprenant les grands projets des kalifes Abbacides, montaient d'Egypte vers le Nord, longeaient les rivages de la Palestine et de l'AnatoIie, pour arriver comme les Turks Seldjoucides, comme toutes les émigrations asiatiques sur le (I) Albert d' Aix-la-Chapelle, liv. VII, p. 298, 300, — 91 — Bas-Danube, voyant déjà cette Europe, objet de leurs convoi- tises et la touchant du regard. Une fois en Asie, Godefroî avait frappé deux grands coups. Par la prise de Nicée, par la victoire de Dorylée, par les batailles acharnées livrées sous les murs d'Antioche, il avait écrasé les Turks Seld- joucides, ou il les avait refoulés vers leurs steppes du Tur- kestan, d'où la masse ne revint plus vers TOuesl. Par la vic- toire d'Ascalon, il avait arrêté Tinvasion Sémito-Gouchite, les Arabes Fatimites^ qui ne devaient jamais non plus re- prendre cette direction. II avait deux fois sauvé Constanti- nople, sauvé l'Europe et combattu pour le christianisme. Il était allé faire sur les champs de bataille de TAsie ce que Tun de ses aïeux, Charles Martel, avait fait à la bataille de Poi- tiers. Curieux et étonnant spectacle, en vérité, que de voir ce fils de la race tourano-aryenne, de la race celtique, ce Gaulois, comme Godefroi de Bouillon aimait à s'appeler, re- venu des régions les plus occidentales où elle soit parvenue, reprenant en sens inverse la route de cette môme vallée du Danube, à la tète d'une armée ou, pour mieux dire, d'une grande émigration de cette même race celtique, qui revenait vers son antique berceau. Là, trois grandes races, deux reli- gions opposées, après s'être cherchées à travers d'immenses espaces, en ébranlant deux continents, s'étaient enfin ren- contrées et choquées dans les plaines de l'Asie ; et c'était la race celtique qui avait été victorieuse. C'était Godefroi qui, en disciplinant tant de forces exubérantes et désordonnées jusqu'à lui, avait assuré le succès de la croisade. C'était Go- defroi qui, en signe de cette victoire, avait planté sa ban-^ nière sur la coupole du Temple, et cette bannière était une bannière française. Et pour conjurer le retour de ces mêmes invasions, il avait commencé cette suite d'établissements chré- tiens qu'on a vue : armée européenne, muraille vivante et — 92 — toute frémissante contre deux races ennemies, des bords du Nil au Bosphore, forçant le croissant à reculer devant la croix, la protégeant même en Asie, et couvrant TEurope. Il n'avait pu achever ce vaste plan ; mais, on l'a vu par les textes, il en avait fait connaître toutes les parties, jusqu'à la dernière, la prise du Caire, à ceux qui devaient venir après lui. Sa législation s'altéra peu à peu, mais, elle resta pendant près d'un siècle pour la Palestine, et, jusqu'aux temps mo- dernes pour Chypre, cette forte constitution féodale qu'on vient d'examiner et qui fut utile même aux anciens habitants du pays. Elle allait bien à l'Orient, cette terre des féodalités. En s'opposant à la corruption des mœurs, et quand celle- ci eut commencé à se propager, en la rendant moins géné- rale, elle retarda le moment où les établissements chrétiens devaient succomber sous les coups des Musulmans. Préci- sément parce qu'elle n'était pas écrite, et qu'elle s'était gravée dans tous les esprits, elle survécut à la perte de la rédaction écrite, et conserva ou forma jusqu'à la fin des hommes pareils à Jean d'Ibelin, vrais chevaliers encore et qui montrèrent toujours ce vigoureux caractère des hommes de la première croisade. Enfin, comme dernière éclosion, elle créa cette grande école des jurisconsultes de l'Orient, Jean et Jacques d'Ibelin, Gérard de Montréal, Philippe de Na- varre, Raoul de Tibériade. Beaucoup d'articles ou d'usages, par exemple ceux qui concernent les règlements maritimes sont encore en vigueur aujourd'hui dans les Echelles du Le- vant. Et l'on retrouve bien d'autres traces des institutions frankes et du passage de Godefroi de Bouillon en Orient. Grand commechefd'Etat,grandcomme chef d'armée, comme homme il était encore au-dessus. II succomba après avoir élevé ses parents et ses amis en Asie, ou les sachant heureux dans son pays natal. II ne connut pas la plus cruelle douleur — 93 — qu'il pût éprouver au monde, la perte d'une mère, d'une mère qu'il avait tant aimée. La comtesse Ida dont les conseils, les lettres, le cher souvenir l'avait accompagné partout, comme son inspiration, Ida qui l'avait fait ce qu'il était, ne mourut qu'en 1113, et après avoir suivi son fils par la pensée dans tous ses succès, du fond du monastère de Waast, près de Boulogne, où elle s'était retirée après la mort de son époux et le départ de ses fils. Enfin quoique la mort soit venue le frapper au milieu de sa carrière, on peut dire que s'il n'ache- va pas le grand dessein qui était l'idéal de son siècle, du moins ses fatigues, ses combats, ses courses errantes ont reçu la plus belle récompense que puisse souhaiter un français. Par ses victoires comme par ses vertus, par son épée de conquérant comme par sa plume de législateur, il a su, dans une époque mémorable, et dans les plus belles contrées du monde, représenter dignement la France, cette France plus grande encore dans ses revers que dans ses triomphes, cette France tour à tour à tour l'héroïne ou la victime, mais toujours la prêtresse de la civilisation. Elle riompha avec lui. Ainsi répétons tous en finissant, les paroles de Robert le Moine, qui fut lui-môme de la pre- mière croisade : « Quçis rois ou princes auraient pu sou- « mettre tant de villes et de forteresses, toutes fortifiées par a la nature, par Tart et par la main de l'homme, si ce « n'est la bienheureuse nation des Franks, lesquels ont fl Dieu pour Seigneur et pour chef, et sont le peuple qu'il a a choisi pour son héritage I » Francis Monnier. APPENDICE. I On a vu pourquoi la rédaction des Assises de Jérusalem, telle qu'elle aélédonnôe, en 1841, par M. Beugnot, n'est pas conforme au texte du manuscrit de Venise (1), quoique ce texte puisse seul faire autorité, parce qu'il est le seul qui ait été revu et accepté par un gouvernement. Nous pourrions montrer, par beaucoup d'exem- ples, combien cette rédaction de M. Beugnot diffère du yéritable texte des Assises. Ainsi, au deuxième article de la Cour des Bour- geois, dans les rubriques, le savant jurisconsulte écrit : c Ici orres quel home doit estre le seignor, et ce que doit être en soi pour faire droit et por dire droit à toutes gens. » Mais dans le manus- crit de Venise, on lit : « Ci orrez quel home doit estre le visconte, etc. » D^s la première leçon, le seigneur, on peut entendre par ce mot tous les barons en général ; tandis que dans celle de Venise on voit qu'il s'agit de ce seigneur particulier, le vicomte, délégué par un grand feudataire à la garde d'une ville féodalement adminis- trée (2). M. Beugnot n'indique pas, dans les rubriques, et n'insère pas, dans sa rédaction, le chapitre pourtant si instructif et si cu- rieux sur le couronnement du roi et sur la régence (3}, bien qu'il (1) Nous l'avons toujours appelé manuscrit de Venise, quoiqu'il soit maintenant aux Archives auîiques de Vienne, où il fut porté lorsque le nord de l'Italie était soumis aux Autrichiens, comme la bibliothè- que de Saint-Cioud ; celle de Strasbourg et d'autres furent portées à Berlin à la suite de la guerre de 1870-71, (2) Voyez de curieux détails sur l'organisation des villes, sous la féodalité, dans les Mémoires historiques de M. Mignet, p. 169 et. suivantes. (3) M. Mils, dans son histoire d'ailleurs attachante mais systé- matique des croisades, nous représente aussi Godefroi comme ayant été roi de Jérusalem» avec chambellan, sénéchal » connétable, etc.; et — 96 — soit, sans aoeon doute, de Jean dlbelin, et qu'il ait été tu et ae- eepté par les commissaires ?énltieDs. Nods nous contenterons de donner ici denx fragments de ce roannscrit. lis sont extraits des rabriqaes, et indignent toajonrs le sujet et parfois les décisions des chapitres qui y correspondent. La forme en est coarte et précise. Elle peut donner nne idée de ce qae deraient être les articles des premières LeUre9 du Sépulcre. HAUTE-CODR. Ce sont les mbrîches don iirre des Assises et des usages don roianme de Jérusalem, lequel lin'e fit le bon Johan de Tbelin, conte de Jafe et dTscalone, et seigneur de Rames. Ci commence le livre des assises et bons usages don roiaume de Jérusalem, qui furent establis et mis en escrit par le duc Godefiroi de Buiilon, qui lor par comunt accort fu esleu a roi et a seignQr don dit roiaume, et par Tord onement don patriarche de Jérusalem, qui lors primes fu esleu et sacré, et par le conseil des autres rois et princes et barons qui après le duc Godefiroi forent. I Coment le duc Gjdefroî establi II cours séculiers, l'une la Haute- Cour, de quoi il fut gouTerneor et justissier, et Tautre la court de la Borgesse, laquelle estapelée la court du Visconte. II- Coment les assises et les usages dou roiaume de Jérusalem furent par plusieurs fois amendées par le duc Godefroi et les autres rois et seignors qui après ii furent. il le regarde comme raotenr des Assises, telles qne nous les a trans- mises Jean d'ibelin. Voyez The histary cf the Crusades, by Charles Mils, London, 1821. Pour la royauté, \, 264 ; pour les Assises, I, 312. — M. de Sybel a négligé les mannscrits, et ne connaît des Assises que l'édition de la Thaumassiére et celle de Canciani. Voyez Geschicte des ersten kreuzzugs ^on Heinrich von Sybel, Dusseldorf, 1841, p. 5 et appendice. 11 en est de même de Wilken, quoiqu'il renferme beaucoup plus de détails sur Godefroi de Bouillon, t. I, p. 66, sur son gouTernement, t. Il, p. 45, et sur sa mort, t. Il, p. 59. Ges- chicte der kreuzjsuge.., von Frederich Wilkea, Leipsig. 1807. — 97 — r III Coment le peuple des Sariens vint devant le roi don roiaume de Jérusalem, et 11 proierent et requistrent qu'ils fussent menés par Tusages des Suriens. IV Cornent le chief seignor dou roiaume de Jérusalem, et lès autres barons et homes qui ont couct et coins etjustise, doivent savoir les assises et les usages dou roiaume. Ci dit où le roi de Jérusalem doit estre coroné, et qui le doit corroner. VI Ci dit coment l'en doit le roi corroner, et quel saurement il fait au patriarche, et le patriarche à lui, et coment il doit torner dou sépulcre. VII Ci dit quel doit être le chief seignor dou roiaume de Jérusalem, soit roi ou autre, et toz les barons et seignors dou dit roiaume qui ont cort et coins et justice. VIII Ci dit quels doivent estre les homes qui sont luges en la haute court. Coment totes manières de champions doivent estre armés à ba- taille faire, quant il se vont por offrir. ^ CI Coment chevaliers deivent estre armés qui se combatent por murtre, et coment por autre carelle, et coment ils se deivent ve- nir por offrir, et où et à quel orre. a - 98 - eu Quanz iors Ton a la [bataille faire, après ce qae les gaiges sont donnés et receas. cm Cornent on deit apeler home de rap. CIV Qui apele feme de chose en quoi il y a bataille, et elle a baron, cornent son baron la peut défendre, et cornent, c'il ne la viaut dé- fendre, elle se peut défendre par un autre. CV Quel genz se peuvent défendre par champion. CVI Qui se clame de force et ne Teuffre à prover por quoi celui de qui Ton se clame n'est tenuz de néer la. CVII Cornent teles manières de genz autre que chevaliers qui gagent bataille deivent estre armés à la bataille faire. CCLXXII Ce sont les aydes que les yglises et les borgeîs deivent, quant le grant besoing est en la terre dou reiaume de Jérusalem. CGLXXim Ce est le dereain chapitle de cest livre. CCLXXIV Vos aves oy devant coment on deit coroner le rei, c'est assaveir quant il est daage, après la mort de son père ou de sa mère ou de celui qui a le reiaume par irritage. Et or orrez quant les enfaatz demorrent merme d'aage que l'on deut dire et faire. - 99 — COUR DES BOURGEOIS. Ci coumencent les rebriches don liyre des assises et des husages dou royaume de Jérusalem de la court des Boargois (l). 1 Tout premièrement nos coumenseronz à dire quel home doit estre le visconte, et quels homes doivent être les iurés de la court, et lesquels ne doivent pas estre, et coument il§ se doivent mainte- nir et jugier touz houmes et toutes f emes, de toutes rasons, de murtre, de laresin, de vente, de achat, de prest, de maisons, de terres, de vignes, de chevaliers, de sergens, et de toutes iseles choses dont clamour en sera faite par devant eaus. II Ci orez quel home doit estre le vîscomte, et ce que doit estre en soi por faire droit, et dire raison à toutes gens. « III Ci orès dou bailli de la ville qu'il est establi aleuq pour adres- sier tous ceaus qui devant lui se venront clamer. Et coment il se doit maintenir el servise dou roi de Jérusalem. IV Ci orès quel houme doit li rois faire bailli ou visconte et par quel conseil, et coment il doit faire droit etcoumander as iurés de la court que il fasent le iuiement selonq la clamour et le respons. Ci orès se que doit faire le visconte, et que peut faire valoir s'aide, et que il pert quant il fait se que il ne doit faire. (1) M. Henri Martia fait justement remarquer que les Assises des Bourgeois étaient une sorte de code civil. Histoire de France, t, III, p. 191. Le < droit des bourgeois tendait ainsi à devenir le droit « commun. » La Ferrière, Histoire du Droit français, t. IV, p. 415 et suivantes. — 400 — VI Ci orès que doit faire le visconte de maies coustames, et coament il doit e^ausier par sa foi toutes bounes coustumes. VIÏ >: Ci orèsquès homes dovent estre li iurés, et pourquoi ils sont là establis. Vin Ci orès la raison de ce que les iurés ne dovent faire, et se il le font, ils dovent eslre ostes de la compaignie tles autres iurés. IX Ci orès que les iurés dovent faire, puisqu*3 ils sont asis en la court. X Coment li iuré n'ont pooir de doner consiel, ne de riens oîr» puis que il sont asis en lor siège. XI Quel chose pevent faire li iuré avant iuiement. XII Ci orès que Ton doit faire des iurés qui sont establi por droit , faire et pour conseiller veues et orfenins et tous seans qui conseil .leur demanderont, et puis n'en veullent donner conseill quant Ton lor demande à la court. XIII Coment doit estre {sauve et guardé se qui appartient à sainte Iglise, et comment la court roiau et les iurés sont tenus a santé Eglise aler pais de unir et iuier. CCLXVII Ci orès de celui qui donna son gage pour besantz que il se — 401 — prunta, et le prestour ne vient rendre le guage, que raizon doit estre de lui. II Nous avons dit, p. 8, que nous reproduirions ici la charte par laquelle Godefroi concède à l'église Saint- Pierre de Bouillon les biens qu'il possédait à Baizy, près de Nivelles (1). Mais une étude plus miniitieuse de cette charte nous a conduit à la regarder comme interpolée. Ainsi, elle porte la date de 1084, et Godefroi y annonce qu'il va partir pour la croisade. Or, il ne s'y prépara qu'en 1094. Bien loin de léguer ses biens à d'autres, le jeune et ardent seigneur les défendait avec vigueur, lépée à la main, contre les entreprises de son ennemi, Albert, comte de Namur. Il y parle du duc à venir, veniuri in meo loco ducis, mais s'il s'agît du futur duc de Bouil- Ion, Godefroi le connaissait : c'était l'évoque de Liège, à qui il ven- dît en effet, onze ans plus lard, son duché, et qui prit dès lors le titre de duc-évêque de Liège, titre que ses successeurs gardèrent pendant plus de trois cents ans. Et si Ton dit que, dans cette charte, Godefroi entendait parler de son duché de Basse- Lor- raine, on lui fait céder ce qu'il ne possédait pas encore; car il ne fat lui-même nommé duc de Basse-Lorraine qu'en 1089, c'est-à- dire quatre ans après cette prétendue donation. Nous aimons mieux donner à la place de cette charte un document d'un autre genre. LA CHANSON DE GODEFROI CHANSON DE GESTE INEDITE. On a vu qu'au moment où il allait être maître de toute la Pales- tine par l'expulsion ou le départ forcé des émirs, Godefroi tomba tout à coup malade, après avoir mangé une pomme de cèdre, que lui servit, avec une apparence de courtoisie, le fanatique émir de~ (1) Voyez VHistoire de la ville et du duché de Bouillon, par Oze- ray, 1. 1, p. 50, et t. II, p. 283. Voyez aussi une ap{)réciation des Assises de Jérusalem, p. 297. — 102 — Césarée. La croyance à un empoisonnement ^e répandit aussitôt et prévalut en Palestine, bien qu'on l'expliquât de diverses ma- nières. Ainsi Ekkard, abbé du monastère d'Urangen, près de Wurtz- bourg, et qui viol, avec tant d'autres, à Jérusalem, après la prise de cette ville, c'est-à-dire l'année même de la mort de Godefroi, dit que, suivant plusieurs, Godefroi succomba, parce que les Musul- mans, obligés de se retirer, avaient empoisonné toutes les sources. Gette croyance à une mort violente passa de là dans les Chansons de Geste, où se reproduisent, comme toujours dans les épopées primitives, les idées, les sentiments, les vertus, les vices, eljus- qu'aux préjugés des nations jeunes. Le manuscrit n* 12569 du fonds français à la Bibliothèque nationale de Paris, renferme une chanson de Geste entièrement inédite. Un trouvère inconnu y ra- conte la prise de Damas, celle de Césarée et celle de Sainl-Jean- d'Acre, enfin la mort de Godefroi, qu'il déclare avoir été empoi- sonné parle patriarche Daïnabert, à la suite d'un traité où Godefroi assurait que, s'il mourait dans l'année, la tour de David, la souve- raineté féodale de Jérusalem et d'une partie de Jaiïa reviendraient à Daïmbert. Nous proposerions aux érudits d'appeler cette chanson nouvelle la Chanson de Godefroi, comme on dit la Chanson de Roland, les deux épopées renfermant toutes deux les derniers exploits du prin- cipal personnage, et se terminant toutes deux aussi par une catas- trophe (1). Quant au nom du trouvère auteur de cette chanson, il nous parait être ce même chanteur Renaut, qui se nomme deux fois dans « les Enfances de Godefroi,:^ poème écrit dans le même goût (1) M. Paulin Paris a inauguré la publication de Cycle de Gode- froi ou du Chevalier au Cygne, en éditant, en 1840, le beau poème de la Chanson d'Antioche. M. Charles Hippeau l'a suivi en nous don- nant dernièrement l'intéressante épopée de la Conquête de Jérusalem, La publication de la Chanson de Godefroi compléterait le Cycle. Voyez le Charlemagne poétique de M. Gaston Paris, les ouvrages critiques de M. Paul Meyer et les Epopées françaises de M. Gau- thier. Surtout^ n'oubliez pas l'ingénieuse et savante dissertation sur les conditions du poème épique par notre cher maître, M. Emile Egger, Mémoires de littérature ancienne, p. 110, \ — 403 — et avec les m^mes procédés de style que le nôtre. D après une heu- reuse conjecture Cl), Renaut vivait dans la première moitié du XIII* îiècle. avant la bataille de Bouvines. Voici déjà une date (1214) aU'delà de laquelle il n'est pas permis de reculer cette chanson; Fétude du manuscrit même nous permettra d'être encore plus précis. Nous avions cru d'abord, avouons-le, que ce manuscrit était de la seconde moitié du xiic siècle. Mais Fétude des images qu'il ren- ferme, splendides enluminures ayant toutefois un peu souffert, nous a engagé à le reporter jusqu'à l'âge suivant. Ce sont bien là les costumes, les coiffures, les armes du xme siècle. Ces ogives à lancettes sont celles de la Sainte- Chapelle, des cathédrales de Strasbourg, de Metz, d'Âix-la-Chapelle et de Cologne. Toutefois, on retrouve dans ces légères peintures le mélange du plein-cintre et de Fogive, qui forme, non pas, comme on Fa dit, un style bâtard, mais un genre coun posé, expression d'une époque antérieure, comme on le voit à Notre-Dame et à Sainl-Germain-des-Prés de Paris, / I ainsi que dans les cathédrales de Spire, de Worms, de Mayence, et presque tout le long de la rive gauloise du Rhin. Enfin, comme les chansons de geste disparaissaient en se transformant, comme le trouvère Renaut se pose plutôt en copiste qu'en écrivain, tout porte 2L croire qu'il chercha surtout à reproduire la Chan- son du pèlerin Richard qui, lui, se trouvait à la première croisade, et avait connu Godefroi de Bouillon. On n'avait pas encore eu le Rajeunissement de Graindor de Douai, ni le dernier remaniement d'un trouvère flamand du xiv® siècle, que M. de Rieffenberg (2) a publié en 1848. Il y a tel vers même qui n'a pu être écrit que parle pèlerin Richard; celui-ci, par exemple : Car le fel patriarce qui ait courte durée.  n'en pas douter, Daïmbert vivait encore lorsque le vieux trouvère indigné lançait, contre lui cette imprécation. (1) M. Paulin "Paris, .6 t5îotVe littér, de la France, t, XXII, p. 488. (2) Monument pour servir d Vkistoire des provinces de Nam f de ffainaut et dç l^uxembourg, t. IV, V et VI, — 104 — On voit combien le témoignage da trouvère Renaut est précieux. Il Test d'autant plus, que le manuscrit qui le renferme est non- seulement inédit, mais unique pour toute la dernière partie de cette vieille et curieuse épopée, nouveau trait qui la rapproche en- core de la Chanson de Roland, On comprend alors pourquoi on rencontre tant de couleur et de réalité historique dans cette ehan^ gon. Voici maintenant les stances de Tempoisonnemenl : Le soir s'asist li rois Godefroi au mangier. Il et li patriarces ki Duis doinst encombrer. Une puison a faite li glout apareilier, Pour le roi Godefroi honnir et engignier. Des relikes li membre qu'il ûst envoiier En la tere de France, le dous pais plenier. Et jure Dame Diu kii s'en vanra vengier De chou kil fist le temple des relikes vidier. . Li bons rois Godefroi a le chiere membrée Fu assis au mangier en icele vesprée...* Les lui le patriarce a le barbe mellee, Tous iours li ot li rois mult grant honor portée... De la patriarche c'est vérités prouuée, Li rois mal Temploia itele est ma pensée. Mix li venist avoir a un larron donnée; Car li fel patriarces, ki ait courte durée. Une tele puison a le soir destemprée, K'onkes ne fu si maie par nul home brasée. Au coucier la le roi de sa main présentée. Et li rois en a but par maie destinée. Si tost kil en ot but si li art la corée ; La coralle li est durement escauffée, Ançois cuns hom eust demie liue alée, Li fu li cuers crevés et la luour tourblée. Li angle emportent lame ni ont fait arestée; En paradis lassus les ont tantôt portée; Et Dix od les martire la escieus couronnée. Dont veissiès par l'ost mult grand dolor menée, Tante paume batue, tante barbe tirée. Corbarans se pasma et fist grant dolôusée. Ahi ! rois Godefroi come dure déseuvrée! Sire, je vous amoie plus que nule riens née. Or est ma suer matrone bien remése esgarée. — 105 — Jamais n'ara seignour de cui sait tant amée. Pour vostre amour fu elle, sire, chrestiènée. Bien cuida de vous estre et crute et amontée. C'est par mauvaise envie qu'on a vo mort hastée Corbarans a grant duel et fait cière marie. Pour voir roi Godefroi ki la cière a pâlie. Li cuers li fu crevés, l'ame s'en est partie. C'en est une nouelle se la cir ot noirchie. Corbarans le regrète et pleure et brait et crie. Àhi! Godefroi sire, par vo cevalerie, Estoit mult amontée toute vostre lignie ; Mais or est ele moult kreve et abaissie, Bauduis de Rohais a le cière hardie Vos frères a perdu en vous grant compagnie. Que de vestra matrone, le bêle Lescanie, La roine ma suer le dame d'Alénie, Quant saura la nouvelle'si sera courechie. Je nie doue durement que de duel ne socie. Bien savons que vous estes enherbés par envie. Se je vis longement vo mors sera vengiee. A tout fut de dolour toute l'ost raemplie. Grant duel en ont mené toute la baronie ; Et liarpins et Tangres en font cière marie. Sur le cors son pâmé li baron marte sie, Le nuit gaitent le cors dusqu'à l'aube esclarie. £ mUnt li baron ont la iournée coisie. , Le cors ont fait lever sur un mul de Sulie, Lor très ont fait trousser, li ost est deslogie, Droit vers Jérusalem ont leur voie acuillie. Des iournées qu'ils font n'est ia parole oie. A Jérusalem vinrent eos di ainsccomplie, A luce prist l'ost Dieu la nuit herbegerie. A Jérusalem sont II baron ostelé. Li roi gaitent le nuit tant qu'il fut aiorné. Et quant vînt au matin ains le solel levé» Par devant le sépulcre ont le coi;b enteré. Dix ! tant l'ont li baron et plaint et regrété ; Maint cavel eot trait et maint grenon tiré. — 106 — Nous regrettons de ne pouvoir prolonger plus longtemps la ci- tation de ces belles stances épiques d'une poésie à la fois si simple et si grande. Dans les strophes suivantes, Daïmbert veut faire Bobémond < vice-roi couronné, » vice-roi de Jérusalem et de la Palestine. Tancrède prend, au nom de Bohémond, son oncle, pos- session de la ville et de la tour de David. Daïmbert est parvenu à son but : il est roi. III DICTIONNAIRE HISTORIQUE ET GÉOGRAPHIQUE COMPOSÉ AU COMMENCEMENT DU Xlie SlÈGLE. Voici maintenant un ouvrage d'une grande utilité pour l'étude de la géographie de la Palestine. C'est un dictionnaire géogra- phique et historique composé de notices sur chacune des villes de la Judée. Ainsi, il y a un article Ilébron, des articles TIbériade, Jé- rusalem, Bethléem, etc. L'auteur de cet ouvrage est un archidiacre du nom de Frétel, qui se servit de plusi^^urs rédactions antérieures, il visita la Terre-Sainte dans les dernières années du règne de Baudouin, frère de Godefroi, et il avait pu voir ce dernier au siège d'Antioche. Il écrivit son livre à la suite de son voyage et même pendant son voyage, tantôt pour rendre ses im- pressions à l'aspect des lieux, tantôt pour fixer ses souvenirs ou ses observations , toujours avec netteté et précision , toujours aussi en voyageur. Ainsi, en parlant de son arrivée à Jérusalem, il dit : « Nous sommes entrés par la porte de David dans la Cité- Sainte, ayant à ma droite la tour de David, quand nous entrions. Cette tour de David est ^ituée dans la partie occidentale, et elle domine toute la ville. » L'ouvrage est inédit en ce sens qu'il n'a jamais été publié en entier, quoique plusieurs auteurs en aient fait connaître des fragments (1). Pour avoir Fretel il faudrait confron- (1) Voyez l'important fragment publié par M. de Vogué, dans son savant ouvrage les Églises d'Orient, appendice. Voyez aussi Fabri- — 107 — ter : 1* Denx manuscrits de la bibliothèque de TËcole de médecine de Montpellier, les mss. H 39 et II 142, les seuls qui soient corn- plets, tout en ne se ressemblant pas cependant ; 2* les mss. 5129 et 5135A de la Bibliothèque Nationale ; 3" un manuscrit que M. de Sybel a vu à Berlin (1) ; et 4* enfin un manuscrit que nous avons vu à Londres au British Muséum, coté 3904. Avec ces matériaux, on reconstituerait la géographie de l'époque des Croisades. Ensuite, en réunissant Vîtinéraire de Bordeaux, rédigé un peu après Constantin, le Dictionnaire^ de Frétel, }a Relation de Desayes, ambassadeur de Louis XII 1 auprès du sultan, la Disser- tation de d'Anville, et plusieurs relations moins importantes im- primées ou encore inédites, on aurait en un seul et précieux vo- lume, et en suivant toujours Tordre chronologique, un monument complet de la géographie de la Palestine. Pour donner une idée exacte du Dictionnaire de Frétel, nous en détacherons les fragments les plus importants. Voici d'abord les deux prologues, tels qu'on les lit dans les deux manuscrits de Montpellier, mss. H, 142, fol. 174, 2' col. (2). c Domino sancto et venerabili fratri in Domino Redrico, Dei gratiâ Toletano comitî, Fretellus eâdem gratiâarchidiaconus Ancio- chise. Sub spiritu consilii et fortitudinis Deo militare, cum ad orientalem Ecclesiam, delendorum causa tuorum peccaminum, con- fugisti, et in terra promissionis patriâ, videlicet Salvatoris Domini nostri Jhesu Christi peregrinarîs, ex quâ sanctus Israël Parthos ejecit et Arabes, sollerter considéra sanctamJherusalem. Ccntem- plare et sanctam Syon quae celestem Paradisum allegoricé nobis dus, Bibliotheca latina, etc., art. Frétel, Bandini, Catalogue, t. Il, et Tobler, Bibliogr. Géograph. Palestinœ. (1) Geschicte des ersten kreuzzugs, etc., préface. (2) Nous en devons la transcription à l'obligeance de M. Lordat, conservateur de cette riche bibliothèque, et de M. Boucherie, membre fondateur de la Société pour l'étude des langues romanes. Nous les prions de recevoir ici le témoignage de notre reconnaissance. — 108 — figuratur, etin quà modo forciores ex Israël, novi Machabaei scilicet, veri Salomonis lectalum. excubant, expugnantes inde Filistim et Âmalech, Prseterea in sancta loca regni David qu» divinse paginœ catholieis informent, quœ sint, et ubi et quod significent, tibi diligenter intitulare ne pigriteris;... et si quandiù moram habuerls illius sanclî presbyteri Hieronymi verbis faveas dicentis : Non est muUum laudabile morari in Jherasalem sed bene vivere... Ergo quod devotèpii nobis visum. est, imnio catholicè,huc transfretaris, à longe remotis Hispaniarum finilias arcessisli. Ta qui et largos egenis,... et omnibns in ecclesià Dei Deo militantibus, Machabaeo- rum impiger commilito, etc. » Le prologue du manuscrit H, 39, est tout différent. € Reverendissimo patri et Domino Dei gratiâ. Olomacensium antistiti, R. Fretellus stolâ jocunditalisindui. Qaoniam corrigendi causa, immo examinandi si quod expugnandum notare posses in te, quasi de iËgypto ad terram promissionis, quasi de Babylone ad Jérusalem peregrinari non expavisti, terrarum intervalla fluctns- que marines non abhorruisti, suspirans in palriâ Salvatoris nostri Emmanuel, ex quâ Philistim et Chanaam ejecit sanctus Israël, con- sidéra sanctam Jérusalem, contemplare et ipsam Syon quse cœles- tem Paradysum allegoricè nobis figurât, et in que modo forliores ex Israël, novi Machabsei scilicet, veri Salomnis lectulnm excu- bant, expugnantes inde Judseum et Â.malecitas, etc. » On nous saura gré de citer maintenant Tarlicle Hébron où l'on reconnait tout de suite la manière de l'auteur. c Ebron metropolis olim Philistinorum, a tempore post diluvium iisque ad adventam filiorum Israël, mansio gygantum, in tribu Juda, sacerdotalis civitas et fugilivorum, sexto decimo miliario a Jérusalem, contra meridiem, deserli confinium et Judeae, territorio illo in quo summus Exactor pâtre m nostrum plasmavit Adam sub fabricà manns et naturse sito tenelur. II ebron a gyganlibus condîta «si septem annis anteqaam Thanis urbs JEgypti conderetur ab eîs. Hebron ab anno quodam Abrabœ nuncupàtur Mambre. Mons emî- — 109 — nens urbi nomine yocatnr eodem. Àd radicem cujasmulta tempora nansit Abraham, existente in praesenti jlice illà sub qua très ei apparuerunt angeli. In quibus unum adorans uyeas- Tpeao- id pst Tri- nitatem in unitate venerandam fore nobis informat. Quibas hospi- cio carilative collectis mense discnmbentibus vilulum apposuit de armento lac etiam et batyram. In Ebron, ea visione compunctus, Domino primum altare constraxit, et supra clementer immolans. Secus situm prsedictae ylicis festum sancts Trinitatis communi Christicolaram jubilo singalis annis gloriosé celebratur. Ylex ex tune usque ad tempus Theodosii imperatoris suum esse, testante Jeronymo, dilatavit. Et ex illa perhibetur fuisse praesens truncus cnmsuis radicibus. Qui, licetaridus, medicinalistamenesseproba- tur, in eo quod frustum de eo equitans qais secum quandiu detu- lerit, animal suuoi non infundit. Ebron vocatur arbe quod Sarra- cenc sonat quatuor. Gui praeponitur kanaih quod eàdem linguà ci- vitas dicitur. Ergo kanatharbe civitas quatuor, eo quod protoplastus Adam, tresque summi patriarcbe Abraham, Ysaac et Jacob in du- plici spelunca in agro Ebron consepulli quiescunt, eorumque cumeis uxores quatuor, Eva mater nostra, Sara, Rebecca, Lia. Ebron valli lacrymarum affinis est. Vallis lacrymarum dicta eo quod cen- tum annis in ea luxit Adamus ûlium suum Abel. In Ebron genuit Seth, ex quo Cbristus erat oriundus, filiosque ac filias. In Ebron ager ille notatur ex glebâ cujus tradunt fuisse plasmatum Adam, et inde translatum a Domino ad Australem piagam dominatum in Paradiso Eden, quod Grœce et Ebraïcé sonat ortum deliciarum. Quem post lapsum et inde pulsum a Domino inglorium et exulem bùc in Ebron, ut ad natale solum, reversum. laboriosé miserum et agricolam vêtus historia désignât. .Quem rêvera agrum prsedictum regionis illius accolae extorquentes inde glebam effodiunt venalem per partes iEgypti et Arabiœin quibusdam necessariam. Quâ modo diversis in locis utuntur quasi specie. Ager memoratur in quantum profundé et lalô effossus in tantum anno finiio dispensatione dlvinâ redintegratus reperitur. Ager glebâ quasi rubri colorem se repré- sentât. Quai*e tradunt Hebrœi quasi rufi coloris extitisse Adam. In Ebron primum applicaerunt se ierrae promissionis exploratores — «10 ~ Caleph et Josue. In Ebron electus in regem a Domino David. Unc- tusest a Samuele.regnavit annisXVII, deque eo Dominas: inveni David, virum seeundum cor meura. In Ebron nali sunt sex filii David, Amos de Âchissâ, Celaab de Âbigaïl, Âbsalon de Maachê, Addonias de Aggelh, Saphanias ex Abrathal, Jaraah ex Agial. C'est ainsi que l'auteur recueille pieusement ces traditions popu- laires qui se perpétuent toujours, de génération en génération, dans les lieux où se sont passés de grands événements, fables souvent pleines de vérités. Rien de plus intéressant que ces légendes orientales qui semblent parfois un feuillet arraché à la Genèse, qui complètent la Bible, et qui entourent d'une lumière pure le berceau du genre humain. On croit entendre les habitantsdece m»îrveilleux pays raconter au voyageur les traditions des premiers âges du monde. C'est ici que le premier homme a été formé ; voilà le champ où le Père des êtres prit la terre dont il fit son corps. Cette terre est encore aujourd'hui miraculeuse. Voyez là-bas cette montagne de verdure, ces arbres couverts des plus beaux fruits et des plus délicieux; c'est là, sous ces rameaux touffus, qu'Adam et Eve vécurent longtemps cachés et heureux, en s'aimant: c'était l'Eden. Voilà la vallée où Adam pleura cent ans son fils Abel ; on l'appelle encore la Vallée-des-Larmes. Voilà la grotte qui fut son tombeau et dan^ laquelle Eve, notre premièfe mère, repose à côté de lui. Tout en recueillant ces naïfs récits, ou en les rappelant par un trait, Frétel décrit les villes avec une parfaite exactitude; on voit qu'il les a devant les yeux. Ce qu'on désire connaître avant tout, c'est la description de Jérusalem du temps de Godefroi. La voici'i « Jérusalem (1) civitas sita est in montanâ Judaes, in proentià Pa- lestinse, ethabet quatuor introïtus.ab oriente, ab occidente, a me- ridie et ab aquilone. Ab oriente est porta per quam descenditur in vallem Josaphat, et per quam itur in montem Oliveti et ad flumen (1) Voyez l'histoire et la description de Jérusalem dans les Der- niers jours de Jérusalerriy par M. de Saulcy, p. 238 et suiv. Voyei encore, de M. de Saulcy, le savant ouvrage intitulé : Numisma- tique des CroisadeSi article Godefroi de Bouillon, — in — Jordanis. Àb occidente est porta David quae respicit contra mare et contra Ascalonem.  meridie est porta quae vocatur de monte Syon, per quam exitur apud sanctam Mariam de monte Syon. Âb aquilone est porta quse vccatur porta sancti Stephani, eo qnod sit deforis lapidatum, et- rare aperitur. Per portam namque Da- vid introïvimus in sanctam civitatem habens ad dexteram Turrim David, satis prope nobis introeuntibus. Turris autem David aparté occidcntali est sita, et eminet super omnem civitatem. « Templum vero Domini est contra solis ortum,in inferiore parte cîvitatis, super vallem Josaphat, quod habet quataor introïtus, ab oriente, ab occidente, a meridie et ab aquilone. Maxima quoqae rupis est in medio ejus. Ibi est altare, et ibi fuit Dominus a paren- tibus suis oblatus, et a sancto Simeone receptas. Et ibi ascendebat quando praedicabat populo. Sepulchrum vero Domini est infra ci- vitalem paululum ad sinistram, nobis euntibus ad templum. Eccle- sia Sepulchri rotunda et salis pulchrè fabricata, et habet quatuor portas, qua»aperiuntur contra solis ortum. Sepulchrum vero Domini est in medio ejus satis bene munitum et decenterordinatum. De- foris et iam a parte orientali est Calvariae locus, ubi fuit Dominus crucifîxus, et ibi ascenditur per sedecim gradus. Et ibi est magna rupis ubi crux Christi ùiit erecta. Subtenns est Golgota ubi sanguis Chrisli per médium petrœ deorsum stillavit. El ibi est aitare in ho- norem sanctae Dei genitricis. Deforis qaoqiie contra ortum solis est locus ubi beata Helena sanctam crucem invenit; et ibi sediâ* catur magna ecclesia. Ex alia parte contra horam s'extam est hos- pitium pauperum et infirmorum, et ecciesia sancti Johannis Bap- tistse; et propè est sancta Maria Latina. In ecclesia vero prœdiûtà beati Johannis est ydria lapidea in qua fecit Dominus vinum de aquâ. Templum Domini, ut diximus omnium ecclesiarum excellit puichritudinem ; et ibi est alia ydria mormorea ubi similiter in Ghana Galilseae fecit de aquâ vinum. Et infra rupem quae est in medio TempU descenditur. per gradus, ubi fuerunt Sancta Sancto- rum ; et ibi orabat Zacharias quando angélus Gabriel annuntiavit ei beatum Johannem nasciturum. Ibique est locus ubi Dominus sede- bat quando Pharisei adduxerunt ei mulierem, in adulterio depre- / — 112 — hensam.  parte quoque meridianâ est palatium Salomonis. Contra solis ortum, aparté prsedicti palatii, est ecclesia Sanctae Mariae, ubi descenditur per multos gradus ; ibique est cunabulum Salvatoris et balneum ejas, et grabatum genitricis ejas. In extremam partem Templi, extra muros ipsius, est ecclesia sanctae Anns qusB fuit ma- ter matris Christi. Et deforis dicitur esse probalica piscina. Non longé extra muros civitatis a parte meridiaiiâ est ecclesia quae di- citur sanctse Marlœ de monte Syon ubi beatissima migrayit a cor- pore ; et in ipsa est locas qui Galilea vocatur, ubi post resurrec- tionem Cbristus apparuit discipulis suis, qaando et Thomas aderat, dicens : Pax vobis; et ostendit eis manus et latus palpandumque prsbuit, sicut narrât evangelicus sermo. Et desuper ascenditur per gradHS, ubi cœnam fecit cum suis apostolis ; et ibi est eadem]mensa super quam cœnavit.et ibi carnemsuam etsanguinem suum, inre* missionem peccatorum, eis dédit ad comedendum. Ibique Spiritus Sanctus die Pentecostes apostolos illuminavit. In sinislrà vero parte est ecclesia Sancti Stephani,ubi fuit sepultus à Johannepalriarcha, postquam adductus est de Cesargarnola. Et deorsum montis est Acheldema, hoc est ager sanguinis, ubi est sepultura peregrinorum. Ex aiiâ parte montis, in descendu ejusdem, est ecclesia Sancti Pétri ubi, gallo canente, flevit amare peccatum negationis. Deorsum quo- que estfons qui vocatur nataloria Syloë, ubi, Domino jubente, cœ- cus natus illuminatus est; et civitas Jérusalem prœter hanc non habet aquam vivam. Ecclesia Sanctae Mariai quœ dicitur in valle Josaphat est inter Jérusalem et montem Oliveti vallis medio, et ibi est sepulcbrum sanctae Mariae genitricis Dei, ubi beatus Johannes apostolus ejus sacratissimum sepelivit corpus. Extra ipsam eccle- siam est locus qui vocatur Gessemani ; ibi est crypta ubi Judas Dominum Judaeis tradivit. Et a parte dexterâ, quantum est jactus lapidis, est oratorium ubi oravit ad Patrem horâ passionis suae, et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram; et angélus apparuit ei, confortans eum. In sumitate ejusdem moh- is est oratorium i)bi Dominus ascendit in cœlum. Prope est alia ecclesia ubi Dominus fecit Pater noster. Juxta est Bethphage, olim viculus sacerdotum. Contra boram tertiam, quasi miliario uno, est — 113 — Bethania, ubi Salvator resuscitavit Lazaram; et ibi est sepulchram ejus. Ibi est ecclesia Sanctae Marisa Magdalense quâifait oliindomus Simeonis leprcisi, ubi dimisit ei Dominus peccata sua. € Est autem Jernsalem in qua par Judam Macbabœum oratio publica pro dtfunctis publicumque beoeficium, et per Hyrcanùm . communis hospitalitas sumpserit exordium. Turrim qaae modo David Yocatur aedificavit Herodes. Quam Tytus et Vespasianus, urbe deleiâ, pro signo victoriae supersUtem reliquerunt. Ârcx vero quam David sibi construxît, in quâ et Psalterium dictitavit, inter ecclesiam qas modo Syon muait et décorât, contra Bethléem, in sublimivaldetumulo, situm suum tenuit/ usque ad tempus junioris fiiii, Mathatisqui utrumque delevit arcemettumulum. Tytus autem et Vespasianus, deletà urbe, non tantum ab incolis sed et ab archâ fœderis et quae in eâ essent eam privaverunt,et secum Romae detu- lerunt, ut inter Palladium et montem Palatinum juxta ecclesiam sanctos Marise Novae in arcubus triumphalibus sculptum apparet. Turris prsdictae dux Godefridus, clavibus susceptis a manu patriar- chse Daïberti, prout benignius poterat patriarchatum disposuit et honores ecclesiarum, et non sub regnantis, sed sub Deo famulan- tes titulo primus apicem conscendere meruit. Voverat autem, si Deu3 Aschalonem in manu ejus redderet, totius Jérusalem reditus Deo militantibus in ecclesia Sancli Sepulcri dominioquepatriarchae se largiturum. Sed anno sequenti vix completo terminum subiit quemprsBterire non poterat. Sepullus autem sub incomparabili moo- rore ante Golgota, ubi cruciûxus est Dominus noster(l). In cujus tumulo hi versus scripli sunt. » Mirifilcum sidus dux hic recubat Godefridus , .^gypti terror, Arabum fuga, Persidis horror. Rex licet electus, rex noluit intitulari, Nec diademari, sed sub Christo famulari. Ejus erat curse Syon sua reddere jura> Catholicéque sequi sacra dogmata juris etœqui, Totum schisma teri circa se jusque foveri. Sic et cum superis potuit diadema mereri ; Meliciœ spéculum, populi vigor, anchora cleri. (1) Description des tombeaux de Godefroid de Bouillon et des rois latins de Jérusalem^ par M. le baron de. Hody. Bruxelle», 1855, — ^M — On le voit, le livre de Frétel est un véritable liinéraûe, et d'au- tant plus précieux que par suite de tant de bouleversements, de sièges^ et d'incendies, les monuments^de Jérusalem étaient tout dif- férents alors de ce qu'ils sont aujourd'hui. La ville n'avait qua quatre portes; elle en a treize maintenant. La ciladelle n'avait pas été sur le mont Sion, mais sur un mamelon qui s élevait à côté et qui avait été rasé avec la citadelle même, du temps des Machabées. L'église du Saint-Sépulcre était ronde et elle avait trois portes en avant; elle forme aujourd'hui un carré long, et il en était déjà de même avant l'incendie de 1808; elle |i'a que deux portes sur la façade. Le Golgotha et le Calvaire étaient en dehors de l'église ; ils y sont renfermés aujourd'hui (1). Le tombeau de Godefroi de Bouillon, détruit par les Grecs était, en 1808, à l'intérieur de l'église, tandis qu'il était en dehors, entre l'église et Golgotha, du temps des rois de Jérusalem. Nous terminerons, en citant la des- cription de Bethléem : « Bethléem, civitas David, duas magnas leucas abestab Jérusalem, contra horam novam, etibi estecclesia sanctse Marise satis pulchré fabricata. Et intus est crypta ubi beatissima Yirgo Maria peperit Salvatorem mundi, et ibi'est praesepe ubi Christus positus est. Et ante cryptam est mensa marmorea super quam Dei genitriz cum tribus regibus comedit. Et ante eamdem cryptam est puteus exis- tens dulcis et frigidae aquse, in quam dicitur Stella recidisse qusB ad- duxit très Magos usque ad introïlum ipsius cryptas. Exeuntibus àutem de Ecclesia, propeporlam, suntduaBcryptae, unasuperior et altéra inferior. In superiori jacet beatissima Paula, ad cujus pedes jacel ejus filia, scilicet sacratissima virgo Eustochium. Descenditur vero ad infeciorem cryptam per multos gradus: et ibi est sepul- cbrum in quo jacet sacratissimum corpus bealissimi Jeronymi, doctoris eximii. Haec est Bethléem ubi, et in omnibus ûnibus ejus, Herodes infantes crudeliter occidi jussit. » (1) Au sujet de l'emplacement du Saint-Sépulcre, et au sujet du Golgotha, on peut, grâce à ce passage, concilier des textes en appa- rence contradictoires. — 415 — Voilà ce qu'était la Palestine du teaips de Godefroi de Boaillon, et cette ville de Jérusalem que tout homme désire voir au moins une fois en sa vie. Sans au,cuQ doute les savants éditeurs des Historiens des Croisades ne manqueront pas plus tard de faire rentrer Touvrage de Frétel dans leur grand et utile recueil. Nous tenions à montrer avec quel soin, dans le cours de cette étude, nous nous sommes appuyé sur des témoignages authentiques et de tout genre. Surtout nous nous sommes fait un devoir, comme un. honneur, de réunir ici tous ces documents nouveaux, pour en offrir Tavant-goût et comme la primeur à l'Académie. Francis MoirifiEB. ■^| V ' Orléans. — Imp. Ëraesi Guias. \ '. LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DE DIDIER & O^ •«/< DU SIK^Ii: AVTEIJRt Le chancelier (TAguesseau, sa conduite et ses idées politiques, et son influence sur le mouvement des esprits sous Louis XIV y et pen- dant la première moitié du XVIIP siècle, avec des documents nouveaux et plusieurs ouvrages inédits du chancelier. Ouvrage couronné par l'Académie française. Prix : 5 fr. Guillaume de Lamoignon et Colbert ; Essai sur la législation fran- çaise au XVIP siècle, avec de nombreux documents nouveaux, discours et harangues de Guillaume de Lamoignon, lettres de Louis XIV à Guillaume de Lamoignon, harangues de son fils Chrétien François de Lamoignon, mémoires sur les ordonnances faits par ordre de Colbert, procès-verbal des conférences tenues et présidées par le roi pour la réformation des lois; le tout inédit. D'Aguesseau législateur, mémoire lu à l'Académie des sciences morales et politiques, inséré au Compte-Rendu de V Académie et publié à part. Prix : 1 fr. ORLÉANS — IHP. ERNEST COLAS. -I* H 3 2044 019 517 234